Vous êtes président directeur général du groupe Air Liquide. Aujourd'hui, c'est l'annonce des résultats pour l'année 2019. C'est toujours, on le sait, un grand moment. Est-ce que l'année a été bonne et que faut- il retenir de cette année ?
Je dirais d’abord que 2019 montre de bons résultats, mais c'est aussi une année qui est marquante pour nous, puisque nous avons des avancées assez déterminantes dans trois domaines.
Le premier, c'est l'amélioration de la performance et en particulier la marge opérationnelle.
Le deuxième, c'est l'augmentation très significative des investissements qui sont faits pour les clients, mais aussi pour l'efficacité. Ca, c'est un peu nouveau.
Et la troisième chose, c'est que nous avons mis en œuvre tout au long de l'année notre plan en faveur du climat, un plan qui avait été annoncé fin 2018.
Donc, c'est une année globalement assez marquante.
Alors, on commence par la performance financière. Si vous le voulez bien, vos ventes sont à 22 milliards d'euros. Mais qu'est ce qui progresse le plus ? Les ventes, le résultat ?
C'est toujours mieux si c'est le résultat qui progresse plus fortement que les ventes.
Les ventes progressent de 4,3% et le résultat opérationnel de 10%.
Quand on traduit ce résultat opérationnel en résultat net, nous arrivons à un résultat net qui s'établit à 2,2 milliards d'euros et qui se traduit par un résultat net récurrent en hausse de 11,1%.
Un élément important aussi, ce sont les flux de trésorerie qui progressent de 14%, ce qui, nous permet de finir l'année à un taux d'endettement net de 64%, ce qui est une très bonne performance, dans la plage qui est en général la nôtre.
Et puis, enfin, le retour sur capitaux utilisés est un paramètre que nous suivons évidemment avec beaucoup d'attention. Lui s'établit à 8,6% sur la base du résultat net récurrent.
Vous le voyez, en dépit du ralentissement de l'économie qu'on a pu constater au quatrième trimestre, en fait sur tous les continents, le Groupe a réalisé de très solides résultats. Ils sont en ligne avec les objectifs du programme NEOS, notre programme moyen terme.
Revenons justement sur les ventes, notamment celles des Gaz & Services, dont je rappelle que c'est quand même 96 % de votre chiffre d'affaires. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur chacune des activités?
Oui, on a quatre grandes activités dans les Gaz & Services.
D'abord, la Grande Industrie qui progresse de 3 % sur l'ensemble de l'année. Cette Grande Industrie bénéficie en fait des volumes d'hydrogène, qui ont été soutenus en Europe et en Asie pour le raffinage et la pétrochimie, deux marchés principaux de l'activité Grande Industrie. Elle bénéficie également de plusieurs montées en puissance de certaines unités de production. Une fois qu'on les a démarré, elles montent progressivement en puissance.
Le deuxième grand marché, celui de l'Industriel Marchand, a subit un contexte économique un peu moins favorable au second semestre. Ce qui a donné sur l'ensemble de l'année une progression de 2% de cette activité qui a été soutenue par une gestion assez efficace des prix.
Troisième, c'est la Santé qui a poursuivi son développement avec une croissance de 6% des ventes tout au long de l'année, donc une progression très régulière.
Et puis l'Électronique, un peu la star l'année dernière puisqu'elle a maintenu un niveau élevé de croissance à 8%.
Et concernant maintenant les zones géographiques, quelles régions du monde se développent le plus?
Je voudrais dire d'abord que toutes les zones géographiques sont en progression, ce qui montre bien la diversité des activités d'Air Liquide, mais à des rythmes différents.
La zone Amériques croît de 2 %. On peut dire que cela reflète une situation qui est quand même un peu contrastée selon les marchés.
L'Europe qui est à 3 %, qui dépasse l'Amérique, ce qui n'est pas toujours le cas. Donc on s'en félicite, bien sûr.
L'Asie-Pacifique reste très forte 8 %, avec une Chine notamment, qui a été très soutenue, toujours solide dans l'année.
Et le Moyen-Orient, l'Afrique, qui affiche une croissance plus modeste de 2 %, mais qui avait en fait eu un très fort taux de croissance l'année précédente.
On vient d'évoquer les gaz et services présents sur les deux autres activités du groupe, plus petites, mais néanmoins évidemment importantes.
Ces autres activités sont essentiellement les activités de technologie.
C’est l'Ingénierie et Construction, avec des prises de commandes qui sont en croissance.
C'est important parce que ça mesure bien le niveau d'activité de cette branche d'Air Liquide, avec une répartition entre les ventes que l'on fait au Groupe, qui ne sont pas consolidées dans les chiffres de ventes totaux, et les ventes tiers.
En fait, l'activité est en progression, mais les revenus pour les marchés tiers sont en décroissance qui, facialement, donnent finalement des ventes qui sont en repli de 25%. Mais je le rappelle, une activité qui reste en progression.
Puis la deuxième autre grande activité technologique, c'est ce que nous appelons les Marchés Globaux & Technologies. On y retrouve par exemple tout ce qui est deeptech et les nouvelles activités comme le biométhane ou l'hydrogène énergie. Ces activités là sont en croissance de 15 %.
J'aimerais maintenant revenir sur un point majeur à un point crucial, à savoir la marge opérationnelle. Elle a beaucoup progressé cette année. Quels ont été les leviers?
Je dois rappeler d'abord que la marge avait déjà progressé l'année précédente. Cette année c'est une bien meilleure amélioration. C'est 70 points de base hors effets d'énergie. Il y a trois leviers.
Le premier, ce sont les prix et le mix produit. Nous avons la capacité d’offrir à nos clients des solutions différentes, à plus forte valeur ajoutée, qui se traduisent par des prix plus élevés.
Le deuxième levier, ce sont les efficacités. Nous avions dans le passé un programme de 300 millions par an d'efficacités, puis nous l'avons monté à 400. Et cette année, nous avons fait 433 millions d'euros d'efficacités sur l'ensemble de l'année, ce qui est assez remarquable.
Enfin, le troisième levier, c'est la gestion dynamique du portefeuille d'activités. Il y a toujours des activités qui sont dans le portefeuille, et d'autres qui peuvent en sortir. Donc, il y a une gestion un peu plus dynamique de ce portefeuille.
J'ajoute que nous poursuivrons bien évidemment en 2020 nos efforts d'amélioration de la marge.
En matière d’investissements, qu'est-ce qui caractérise cette année ? Vous avez investi pour vos clients, mais aussi pourquoi, pour être plus efficace ?
Nous avons en fait alloué 3,7 milliards d'euros d'investissements cette année, ce qui est très élevé. On est plutôt dans un rythme de 3 milliards en année normale. Cela traduit en fait deux choses.
Un fort niveau d'engagement et d'investissements pour nos clients, ce qui se traduit en fait par des signatures de nouveaux contrats, par exemple, en Grande Industrie et Électronique.
Nous avons aussi décidé d'investir un peu plus dans l'efficacité et c'est comme ça que l'on arrive effectivement à augmenter la marge.
Donc vous avez investi pour vos clients, mais aussi pour être plus efficace.
Absolument.
J'aimerais qu'on revienne sur le troisième grand thème de l'année, à savoir, bien évidemment, le climat. On en a déjà parlé en début de cette interview. On se rappelle que vous aviez annoncé en 2018 vos Objectifs climat. Où est ce que vous en êtes aujourd'hui?
Nous sommes en bonne voie. Les objectifs étaient ambitieux, mais réalistes.
Nous avons pour la première fois une première année complète d’Objectifs climat, nous sommes en dessous des émissions que nous avions prévues, ce qui est une excellente nouvelle.
Et puis, je voudrais citer quelques exemples pour montrer comment nous agissons.
Le premier, c'est celui dans le domaine de l'hydrogène. Nous avons débuté la construction au Canada d'une unité qu'on appelle un électrolyseur à membrane qui s’alimentera à partir d'énergies renouvelables pour produire de l'hydrogène.
La caractéristique, c'est que la taille de cet électrolyseur est pratiquement la plus grosse au monde pour ce type de technologie.
Le deuxième exemple, c'est celui de la réduction des émissions de CO2 de nos clients. Nous accompagnons nos clients dans la réduction de leurs émissions par des changements de procédés.
Nous avons par exemple signé avec un client dans l'acier thyssenkrupp, et puis plus récemment avec ArcelorMittal également, des études pour essayer d'utiliser de l'hydrogène dans les hauts fourneaux. Ce qui permettrait de réduire de l’ordre de 20 % les émissions de CO2.
Comment voyez vous 2020?
2020 sera une année évidemment différente. Et avant tout, avant de parler de perspectives, je voudrais juste dire un mot sur la situation sanitaire en Chine et je voudrais saluer le professionnalisme des équipes d'Air Liquide qui sont totalement mobilisées pour gérer à la fois la situation sanitaire, mais également pour gérer les clients et les patients, puisque nous nous devons d'assurer le service au maximum vis-à-vis de nos clients et de nos patients.
Plus largement, en ce qui concerne les perspectives de marché, l'évolution des marchés reste contrastée, comme elle l'a été au quatrième trimestre, avec des secteurs comme la construction ou la fabrication métallique qui, eux, sont plutôt à un point bas, puis d'autres qui sont assez dynamiques, comme la santé ou l'alimentaire.
Et c'est justement là que joue à plein le modèle d'Air Liquide, qui est un modèle de grande diversité de clients, de marchés aussi, bien sûr de pays, avec des contrats à long terme indexés, des applications qui sont aussi très, très variées et une vraie stratégie d'innovation qui sous-tend en fait tout le développement d'Air Liquide.
Autre facteur important, ce sont les investissements. Pour pouvoir investir, il faut des opportunités. Nous avons à peu près 2,9 milliards d'euros d'opportunités d'investissement à ce stade, ce qui est pratiquement une année complète.
Donc nous nous attendons, même si l'année 2019 a été déjà une très bonne année, à continuer cette dynamique d'amélioration de la marge, comme je l'ai dit, mais également de croissance.
Et on peut dire qu’en 2020, dans un environnement comparable, Air Liquide est confiant dans sa capacité à augmenter à nouveau sa marge opérationnelle et à réaliser une croissance du résultat net à changes constants.
Confiance serait le mot de la fin pour vous?
Oui, absolument. Je dirais confiance et en même temps, continuer d'inventer l'avenir. C'est notre métier depuis plus d'un siècle et je voudrais profiter de cette occasion pour remercier tous les collaborateurs d'Air Liquide qui sont plus que jamais mobilisés pour le succès du Groupe.
Benoît Potier, je vous remercie.
Merci.