EBM : Renault Group, constructeur automobile français et l’un des grands groupes automobiles multinationaux, présente sa stratégie et ses perspectives aux investisseurs et aux analystes à l’occasion de son Capital Market Day, le 8 novembre 2022.
Luca De Meo, bonjour, vous êtes le Directeur général de Renault Group. Début 2021, vous avez annoncé un nouveau plan stratégique baptisé « RENAULUTION ». Quels sont les principaux résultats de ce plan à ce jour ?
Luca De Meo : En substance, ce plan prévoyait trois phases : la première concernait la restructuration, la deuxième, le lancement de nouveaux produits sur le marché, et la troisième devait porter sur la transformation complète de l'ensemble. Aujourd'hui, nous allons évoquer la troisième phase, la REVOLUTION. En repensant à la restructuration, je dois dire que ce fut un exercice difficile, une véritable contraction. Mais elle a donné de bons résultats. Nous sommes parvenus à réduire le point mort de plus de 40 % en 16 mois. Nous avons réduit les frais fixes de plus de deux milliards. Nous allons atteindre dès cette année l'objectif de rentabilité promis au marché pour 2025 — avec trois années d'avance. Nous générons de la trésorerie — ce qui n'a jamais été la spécialité de la maison ces dernières années. Mais je pense que d'ici la fin de l'exercice, nous aurons dépassé, en cumulé, le montant de 2,7 milliards de cash-flow disponible, que nous avions promis pour 2023, et ce, déjà en 2022. Donc oui, l'exercice a été difficile. Je pense que tout le monde, chez Renault, a consenti de nombreux sacrifices. Cela montre la qualité d'engagement de cette équipe, et son travail remarquable malgré les difficultés. Car comme vous le savez, nous avons fait tout cela dans un environnement compliqué. Quant à la phase deux : il s'agissait d'une étape de rénovation. Nous voulions lancer une toute nouvelle gamme de véhicules, plus haut de gamme, beaucoup plus centrée sur les véhicules électriques. Nous préparons actuellement ce qui, je crois, est probablement la meilleure gamme de produits Renault, d'aussi loin que je remonte dans mes souvenirs de Renault, jusque dans ma jeunesse. On parle donc de dizaines d'années. Nous allons lancer quelque 25 produits d'ici 2025, dont la moitié dans les segments C et C+, donc structurellement plus rentables. La moitié de ces nouveaux modèles seront électriques, et nous atteindrons donc probablement l'ensemble des objectifs CAFE imposés par le régulateur. Le plus important, c'est que tous ces véhicules sont excellents, et les projets à la fois très sains et rentables. Un de ces modèles nous a coûté 40 % de moins que par le passé, grâce à d'énormes gains en efficience, en gestion des coûts de R&D, de CapEx, etc. La rentabilité (ROCE) augmente également et devrait dépasser 30 % en 2025, comme nous l'avons annoncé dans la présentation. Bref : nous allons tenir nos promesses. Et dès cet instant, automatiquement, vous pouvez imaginer l'amélioration de la performance de Renault, car comme vous le savez, dans le monde automobile, le produit est un élément essentiel. Il se peut même que grâce à notre travail de rénovation, nous ayons le potentiel d'être anticycliques au moment même où tout le monde s'inquiète à l'idée d'une récession et à tous les vents contraires auxquels le secteur est confronté. Nous avons le sentiment que Renault pourrait bénéficier d'un potentiel de hausse, même dans ce contexte difficile.
EBM : Aujourd'hui, à l'occasion de votre Capital Market Day, vous annoncez une révolution pour Renault Group. De quoi s'agit-il exactement ?
Luca De Meo : Oui, il s'agit de la phase trois. L'idée est la suivante : Depuis le début, je suis obsédé par l'idée de faire avancer Renault plus vite et plus loin que tous ses concurrents. Ceux-là ont probablement plus à perdre que nous sur la question des nouvelles chaînes de valeur qui émergent dans le secteur automobile. Depuis toujours, nous travaillons selon une chaîne de valeur relativement bien connue : elle prévoit d'abord quatre à cinq ans de conception, puis sept à huit ans de production et de distribution. Aujourd'hui, ce schéma implose avec l'arrivée des véhicules électriques, des logiciels, des plateformes de mobilité, de nouveaux services, de l'économie circulaire, etc. C'est comme passer d'une discipline, par exemple le football, que l'on pratiquerait depuis un siècle, à cinq autres sports totalement différents. Alors on peut choisir d'assumer cette transition en comptant sur un seul athlète. Pratiquer les cinq sports ainsi aboutira probablement à une performance assez médiocre dans les cinq disciplines. Mais vous gagnez la médaille. Ou alors, vous décidez de gagner cinq médailles, ce qui implique de trouver cinq athlètes avec des compétences, des talents, des formations, des régimes alimentaires différents, une performance mesurée différemment, pour tenter de décrocher toutes ces médailles. Et c'est exactement ce que nous faisons. Nous nous spécialisons, et nous guidons nos collaborateurs vers des orientations d'avenir porteuses d'une forte croissance et d'une rentabilité élevée. C’est ainsi que nous créons Renault Ampère, premier constructeur de véhicules électriques et concepteur de logiciels né de la disruption d'un OEM traditionnel. Nous créons Alpine, la première tentative de Renault Group visant à progresser dans le segment haut de gamme, pour des clients disposés à acquérir des voitures qui, c’est bien connu, appartiennent au segment le plus profitable. Et ce, en tirant profit de cette discontinuité technologique. Sur cette plateforme électrique, nous allons tenter de produire des véhicules électriques haut de gamme, et de créer ainsi un constructeur majeur de véhicules électriques haut de gamme. Il y a quelques mois, nous avons annoncé la création de Mobilize. Le service Mobilize est construit autour d'une banque, qui est très solide et qui couvre une vaste gamme de nouvelles demandes de mobilité, depuis les produits financiers tels que le leasing, l'assurance, etc. jusqu'à des services plus concrets comme les services de charge, l'infrastructure de recharge, donner une seconde vie aux batteries, les plateformes de mobilité etc. Ce qui fait notamment de Mobilize un service totalement nouveau, c'est que nous y avons intégré une équipe d'ingénieurs et de designers. Mobilize est donc une véritable marque automobile, une vraie société automobile, mais qui fonctionne en allant du service au produit et non le contraire. Nous sommes convaincus de l'intérêt de pouvoir générer un chiffre d'affaires récurrent au fil du cycle de vie du produit. Parmi les autres « sports », je citerai encore l'économie circulaire. Il y a quelques semaines, nous avons annoncé la création de « The Future is NEUTRAL ». Il s'agit de la première entreprise d'économie circulaire, totalement dédiée à cette activité, à émerger au sein du secteur automobile. Il s'agit d'une plateforme ouverte : ouverte à toute l'industrie, aux fournisseurs, aux autres entreprises qui souhaitent y participer. C'est également intéressant, en progression et rentable. Bien sûr, toutes les autres activités classiques de Renault, tous ses produits, ses marques comme Renault, Dacia, LCV, etc. vont continuer de prospérer. Je crois même, comme je l'ai déjà dit, qu'il y aura là un avantage supplémentaire, grâce à l'arrivée des nouveaux produits. Nous sommes donc en train de concevoir une organisation totalement nouvelle. C'est un nouveau mode opérationnel, où des mots comme concentration, sens des responsabilités, transparence, efficacité (plutôt qu'efficience) constitueront le vocabulaire de cette nouvelle philosophie.
EBM : Vous mentionnez là quelques défis audacieux. Est-ce que Renault Group pourra réaliser tout cela seul ?
Luca De Meo : Sincèrement, je pense que personne n'est en mesure de réaliser seul tout ce que l'on attend de nous en tant qu'OEM. Et je fais le pari, plutôt que de tenter de tout faire nous-mêmes (comme beaucoup prétendent qu'ils vont le faire), d'opter pour une approche horizontale. Car tous les défis auxquels nous faisons face touchent l'ensemble du secteur, de manière horizontale. Nous devons donc nous mettre en chasse pour trouver les meilleurs opérateurs, les spécialistes de ces domaines, et nous entendre avec eux pour co-investir, co-créer, partager l'activité si nécessaire, et faire croître l'activité ensemble. C'est l'un des principes de cette phase de révolution : il s’agit de progresser ensemble, et en voici deux ou trois exemples. Le projet Horse concrétise l'idée de scinder nos activités d'ingénierie mécanique pour les combiner avec Geely, qui n'est pas un très grand groupe. En particulier, les actifs de R&D, de production, de technologie. Ce rapprochement se traduirait immédiatement par un doublement d'échelle, dès le 1er jour. Il donnerait naissance à un opérateur représentant 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires, comparable à l'un des grands du secteur, prêt à fournir des moteurs à quiconque s'intéresse à notre technologie. Je pense que c'est un bon exemple. Dans un certain sens, c'est classique, mais cela reste pourtant un exemple unique dans le secteur aujourd'hui. La deuxième chose que j'aimerais mentionner, bien sûr, c'est que nous développons actuellement une architecture électronique centralisée, ainsi qu'un système d'exploitation que nous voulons ouvert. Nous voulons en faire un standard, au cas où d'autres OEM seraient intéressés, et nous nous sommes donc associés à deux géants. Qualcomm, pour les semiconducteurs, et Google, pour son système d'exploitation basé sur Android. Nous comptons bien réaliser quelque chose ensemble. Cela nous apportera à la fois une rapidité d'exécution et une réduction des coûts de développement de cette technologie. Après tout, quand on s'associe à de tels partenaires, ils connaissent leur sujet. Cela nous assure une exécution vraiment excellente. Dernier exemple, celui d'un véhicule commercial léger. Nous tentons de révolutionner ce segment. Nous créons une nouvelle plateforme électrique basée sur un concept complètement révolutionnaire proposant aux opérateurs de mobilité une réduction de 30 % du coût total d'utilisation. Nous réaliserons ce projet cela en collaboration avec un autre OEM, que je ne peux pas encore vous annoncer aujourd’hui. Ce FlexEvan, de son nom de code, sera le premier véhicule à intégrer une architecture électronique centralisée et le nouveau système d'exploitation que nous avons développé avec Google sur Android. En effet, nous sommes convaincus, vu les spécificités de ce segment, qu’il est parfaitement rationnel d'inclure des services à valeur ajoutée pour le consommateur. Bref : nous comptons procéder ainsi parce que cela nous paraît la meilleure manière de nous procurer du savoir-faire - et des ressources, car certains de ces partenaires investissent eux aussi. C'est donc parfaitement cohérent, dans ce monde nouveau où nous découvrons tant de nouvelles choses et où nous sommes supposés réaliser tant de choses en même temps.
EBM : En conclusion, comment voyez-vous les perspectives et les prévisions financières pour Renault Group ?
Luca De Meo : Nous avons annoncé une marge opérationnelle supérieure à 8 % en 2025 et à 10 % en 2030. Ces chiffres sont eux-mêmes supérieurs à l'objectif que nous nous étions fixé début 2021 : en réalité, nous les avons déjà atteints. Ce qui me semble très rassurant, c'est que nous annonçons également des objectifs de cash-flow disponible : en effet, d'ici 2025, nous comptons dépasser le seuil de 2 milliards d'euros de cash-flow annuel, pour les deux prochaines années. Dès 2026, nous nous engageons à dépasser le seuil des 3 milliards d'euros de cash-flow disponible. Dans l'histoire de Renault, c'était probablement l'une des faiblesses de notre modèle économique. Mais nous rebattons aujourd’hui les cartes pour générer davantage de trésorerie, de marge et de croissance, et j'y vois le résultat de notre réflexion sur la rénovation de l'entreprise. La rentabilité (ROCE) sera très élevée (supérieure à 30 %, comme je l'ai indiqué). Pour vous donner un exemple, et préciser encore le concept : aujourd'hui, si je compte combien nos activités affichant soit une croissance de 10 %, soit une rentabilité à deux chiffres, cela ne représenterait que 25 % de l’ensemble. Grâce à toutes les initiatives que nous prenons actuellement, près de la moitié de nos activités relèveront de segments générant à la fois une croissance supérieure à 10 % et une rentabilité supérieure à 10 %. Cela en dit long sur les changements qui s'opèrent dans le Groupe, mais aussi sur la qualité de notre stratégie et de notre plan.
EBM : Luca de Meo, merci beaucoup
Luca De Meo : Merci à vous.