EuroBusinessMedia (EBM) : Sanofi, leader mondial et diversifié de la santé, publie aujourd’hui ses résultats pour l’exercice 2011. M. Viehbacher, bonjour et bienvenue.
Chris Viehbacher : Bonjour.
EBM : Vous êtes le Directeur Général de Sanofi. Comment décririez-vous les résultats du groupe pour l’exercice 2011 et ses perspectives pour 2012 ?
Chris Viehbacher : L’année 2011 aura été un jalon important pour Sanofi, à plusieurs titres : d’abord l’acquisition de Genzyme, suivie - et c’est primordial - par son intégration ; la décision d’intégrer totalement notre filiale de santé animale Merial ; le succès du lancement d’Allegra® aux États-Unis, justifiant pleinement l’acquisition de Chattem il y a deux ans. Ces acquisitions ont entraîné une réflexion sur notre productivité, qui nous a menés à restructurer nos fonctions support aux États-Unis. Nous avons lancé une ambitieuse restructuration de notre recherche, restructuré nos activités commerciales en Europe, et trouvé le temps de déposer cinq dossiers d’enregistrement de nouveaux médicaments, fait sans précédent dans notre secteur. L’année 2011 aura donc été particulièrement active en termes de réorientation vers nos plateformes de croissance, mais aussi de maîtrise exemplaire des coûts et de progrès en R&D. Parlons chiffres : à change constant, notre chiffre d'affaires a progressé de plus de 5 %. Nous n’avons pas compensé totalement la concurrence des génériques, qui nous a encore fait perdre 2,2 milliards d’euros de chiffre d'affaires, mais nous avons su limiter ce tassement à 3,8 % seulement. Je suis donc très satisfait des résultats 2011. Nos équipes ont travaillé dur, et le groupe a considérablement progressé. Cela étant, l’année 2012 ne sera pas moins difficile que 2011, mais nous nous y préparons depuis plusieurs années. Cette année, nous allons perdre Plavix® et Avapro®, de même que Eloxatine®, et il nous reste une année de vente de Taxotere® aux États-Unis. Ce sont là plusieurs obstacles qu’il va falloir affronter. Pendant ce temps, la performance de nos plateformes de croissance reste excellente. La contribution de Genzyme va porter sur tout l’exercice, et nous allons poursuivre nos efforts de maîtrise des coûts. Nous avons déjà lancé un nouveau programme de réduction des coûts de 2 milliards d’euros. Nous prévoyons cependant un recul de 12 à 15 % du bénéfice par action, ce qui correspond parfaitement à nos prévisions de septembre. Quand je vois le groupe aujourd’hui, je n’ai aucun doute sur sa capacité à rétablir sa croissance à l’horizon 2015, voire à présenter l’un des meilleurs profils de croissance du secteur. Notre exposition au risque d’expiration de brevets sera l’un des plus bas du secteur. L’année 2012 va donc être ardue, mais l’essentiel de notre équipe de direction se consacre désormais à notre croissance post expirations brevetaires.
EBM : Que pouvons-nous attendre de Genzyme, maintenant que les problèmes de fabrication qui limitaient la production sont en passe d’être résolus ?
CV : L’intégration de Genzyme a été un événement majeur puisqu’il s’agissait d’associer une culture biotech à une culture de grand groupe pharmaceutique ; j’y ai consacré beaucoup de mon temps.
Le fait marquant aura certainement été le rétablissement de la production de médicaments destinés au traitement des maladies rares importantes, comme Cerezyme® et Fabrazyme®.
Dans ce domaine, nous avons sensiblement progressé. Les autorités sanitaires européennes et américaines ont approuvé l’ouverture de la nouvelle usine de Framingham. Souvenez-vous de la situation l’an dernier : au moment de l’annonce de l’acquisition, l’usine d’Allston, qui était soumise à un jugement d’expédient (consent decree), produisait encore quatre produits, s’occupait de remplissage et de finition et assurait tout le travail de purification. Un an plus tard, la nouvelle usine va décharger Allston d’une partie de sa production. Nous pourrons donc y concentrer la production de Fabrazyme®, et n’y produire qu’un seul produit plutôt que quatre. Toute l’activité de remplissage et de finition a été sous-traitée en avril 2011, et nous comptons même nous dégager graduellement de la purification. Nous allons donc pouvoir rétablir notre production et regagner des parts de marché, particulièrement avec Fabrazyme®. Dans l’ensemble, nous avons réussi à réunir nos deux entreprises d’une manière très rationnelle, et je suis très heureux du potentiel que nous apporte l’acquisition de Genzyme. Les résultats des études cliniques de phase III pour Lemtrada™, par exemple, sont excellents, et Aubagio™ de Sanofi nous permet de créer un nouveau portefeuille. Jamais encore je n’avais vécu le lancement presque simultané de deux molécules majeures destinées à traiter un même groupe de pathologies.
En outre, la nouvelle génération de molécules destinées au traitement de la maladie de Gaucher (dont eliglustat) présente d’excellents résultats en Phase II, et le recrutement pour la Phase III est déjà terminé.
Dans l’ensemble, la production est donc sur les rails, et nous sommes en mesure de lancer de nouveaux produits. À l’époque de la transaction, nous avions annoncé des synergies d’environ 700 millions d’euros. Nous sommes en bonne voie de les réaliser, puisque nous avons déjà réalisé 230 millions d’euros en 2011. C’est un signe important des progrès déjà réalisés. Enfin, l’acquisition de Genzyme répondait à une volonté de renforcer sensiblement notre recherche aux États-Unis et à Cambridge en particulier. Nous avons réussi ce pari, et Genzyme est aujourd’hui notre plateforme n° 1 de recherche aux États-Unis. L’intégration de deux sociétés implique la recherche de synergies ou l’harmonisation des systèmes d’information, mais il s’agit avant tout de faire vraiment travailler des gens ensemble. Personnellement, tant en Europe qu’à Boston, je ressens un sentiment de plus en plus fort d’assurance et de confiance interpersonnelle. Cela renforce ma conviction que Genzyme dégagera réellement un surcroît important de valeur.
EBM : Comment évolue la croissance de vos activités sur les marchés émergents ? Avez-vous réalisé votre objectif de croissance à deux chiffres pour 2011 ?
CV : L’un des grands atouts de Sanofi est sa présence dans les marchés émergents. Cela reste vrai pour 2011. Nous y avons réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 10 milliards d’euros, soit une croissance supérieure à 10 %. C’est là que réside l’essentiel du potentiel de croissance de l’industrie pharmaceutique. La particularité des marchés émergents, c’est que l’on y subit des fluctuations dans plus de 80 pays. Entre troubles politiques et soubresauts macroéconomiques, on n’y retrouve pas toujours la croissance lisse propre aux marchés traditionnels. Mais une fois de plus, au quatrième trimestre, nous y avons enregistré une croissance à deux chiffres : c’est là qu’est notre avenir. Il y a 7 milliards d’humains sur terre. Or depuis toujours, notre industrie ne se préoccupe que d’un seul de ces sept milliards d’êtres. Sanofi est un producteur local. Nous disposons d’un portefeuille de produits adapté à ces marchés. Souvent implantés depuis des décennies, nous y disposons d’un excellent management et d’une vraie compréhension des cultures et des besoins des clients et patients. C’est un atout fabuleux de notre entreprise, et une extraordinaire réalisation.
EBM : Venons-en au diabète. Êtes-vous satisfait de la performance 2011 ? Vous sentez-vous capables de vous maintenir face à la concurrence ?
CV : Le diabète est une de nos plus importantes plateformes de croissance. Cette année, nous y avons réalisé, trimestre après trimestre, une croissance à deux chiffres. Le diabète frappe 350 millions de personnes dans le monde. C’est un domaine thérapeutique important pour l’ensemble du secteur et particulièrement pour Sanofi. En termes géographiques, nous sommes en progrès partout. Aux États-Unis, notre croissance dépasse 16 %, surtout grâce au passage au stylo SoloSTAR® : au quatrième trimestre 2011, celui-ci représentait même 50 % de nos ventes. C’est une progression de 9,8 % par rapport au 4e trimestre 2010. Dans les marchés émergents, la croissance dépasse 30 %. Nous poursuivons le développement de l’activité. En Europe, nous avons déposé un dossier d’enregistrement pour notre molécule GLP-1, baptisée Lyxumia® ; nous comptons faire de même aux États-Unis cette année encore. Nous avons lancé la production de notre système de surveillance de la glycémie sanguine iBGStar®, et entamé les études cliniques de phase III pour une nouvelle formulation de l’insuline glargine. Notre progression est rapide, et c’est un domaine où Sanofi est idéalement placé.
EBM : Après cette nouvelle année de forte progression, le taux de croissance de votre activité vaccins est-il soutenable ?
CV : Il faut souligner lorsqu’on compare les ventes de vaccins en 2011 et en 2010, que 2010 fut une année avec un niveau exceptionnel de ventes de vaccins H1N1. Lorsqu’on met de côté ces ventes non récurrentes, le taux de croissance sous-jacent se révèle très élevé (supérieur à 7 %) et particulièrement alimenté par les marchés émergents, où les ventes ont progressé de plus de 10 %. Nous avons de nouveau battu des records en vaccins antigrippaux cette année, avec des ventes dépassant 800 millions d’euros. Fait particulièrement intéressant, Sanofi a su innover dans ce domaine, avec le lancement d’un vaccin injectable à haute dose pour les personnes de plus de 65 ans, et le développement d’un nouveau vaccin antigrippal pour administration intradermique. Le patient voit à peine l’aiguille ; la formulation est mieux tolérée, et ce produit est très bien accepté par le marché. Notons aussi l’excellente pénétration du vaccin Pentaxim® dans les marchés émergents. Aux États-Unis, les ventes de Menactra® restent soutenues, alimentées par de nouvelles recommandations. Je suis particulièrement ravi de notre nouveau vaccin contre la dengue. Partout dans le monde, et surtout dans les marchés émergents, le lancement d’un vaccin contre la dengue suscite beaucoup d’intérêt. D’un point de vue épidémiologique, la dengue est la deuxième maladie par ordre d’importance derrière la malaria. Il n’existe aucun traitement. Les attentes sont donc particulièrement élevées, car ce vaccin répond à un véritable besoin de santé publique. Il s’agit évidemment une opportunité commerciale majeure pour l’entreprise. Les résultats de l’étude clinique de phase IIb seront disponibles cette année, et nous pourrons alors mieux mesurer le potentiel de ce vaccin.
EBM : Certaines entreprises se séparent de leurs activités Santé grand public et Santé animale. Quel poids stratégique attribuez-vous à ces activités ?
CV : La Santé grand public, comme la Santé animale, sont un élément indissociable de notre philosophie, qui vise à créer une croissance durable. Nos produits de Santé grand public sont des atouts durables, par l’effet de la fidélité des gens à une marque. Et je pense que nous sommes devenus extrêmement forts dans ce domaine. Il y a trois ans, nous avons acquis une société appelée Chattem, justement pour disposer d’une plateforme Santé grand public aux États-Unis. Mais la valeur de cette unité allait dépendre du succès du lancement d’Allegra® sur le marché OTC (vente libre), et le succès est au rendez-vous. Quelques semaines après son lancement, Allegra® détrônait Zyrtec® de sa 2e place dans sa catégorie, et est en bonne voie pour devenir le n° 1. Ce lancement a induit une forte croissance et Sanofi est désormais l’un des cinq acteurs majeurs de la Santé grand public. De même, en Chine, nous avons acquis l’an dernier une société appelée BMP Sunstone. C’est la première fois que nous parvenons à pénétrer le marché de la médecine traditionnelle chinoise en acquérant la marque « Good Baby », l’une des rares marques chinoises de portée nationale. Cette acquisition nous donne accès à de nouveaux canaux de distribution, facteur d’importance stratégique en Chine. Nous avons donc progressivement renforcé notre activité, par croissance interne et par acquisitions. J’aime cette activité, tout simplement parce qu’elle nous permet de développer une relation vraie avec le client, sans les intermédiaires que l’on trouve parfois dans le secteur pharmaceutique. Il en va de même pour la Santé animale. La population mondiale augmente, d’où l’importance de l’approvisionnement alimentaire. Les marchés émergents se développent, donnant naissance à une classe moyenne qui commence à avoir des animaux domestiques. Cette tendance s’accentue encore lorsque les gens quittent les villages et les zones rurales vers les villes et Merial est extrêmement bien placé pour tirer parti de cette croissance. Traditionnellement forts dans le secteur des animaux de compagnie, notre performance est bonne, malgré la présence d’un générique temporaire aux États-Unis. Dans l’ensemble, notre croissance dépasse 4 %, et même 10 % dans les marchés émergents. Même dans le domaine des animaux de production, où nous aimerions nous développer, nos ventes ont dépassé 750 millions d’euros, après une croissance de presque 10 %. Vu les fondamentaux de cette activité, la croissance sera certainement au rendez-vous à l’avenir. Nous entendons poursuivre notre politique d’acquisitions ciblées et de développement de l’activité pour consolider cette évolution, mais une fois de plus, la preuve est faite que les plateformes de croissance procurent à Sanofi une croissance durable pour l’avenir.
EBM : L’année 2012 clôturera votre falaise brevetaire, et durement, puisque vous allez perdre Plavix® et Avapro® aux États-Unis. Comment comptez-vous y faire face, et quelles sont vos priorités pour renouer avec la croissance ?
CV : Bien entendu, cette falaise brevetaire n’est pas un scoop. Nous en sommes conscients depuis plusieurs années, et les marchés aussi. Depuis trois ans, notre stratégie vise non seulement à compenser le manque à gagner qu’elle induit, mais aussi à développer de nouvelles plateformes de croissance durable. L’impact en aura été considérable. Le recul de Plavix® et d’Avapro® aura sur le bénéfice net après impôt une incidence de 1,4 milliards d’euros cette année, pour un effet en année pleine d’environ 2 milliards d’euros. D’autres difficultés s’annoncent : nous allons perdre Eloxatine®, probablement à la fin de l’été 2012 ; nous allons subir une année complète de concurrence générique de Taxotere® ; Lovenox® va subir une concurrence accrue des génériques et bien sûr, les difficultés macroéconomiques en Europe vont peser sur les prix. Mais aujourd’hui, à l’heure de sortir de la falaise brevetaire, Sanofi est bien positionné. Sur l’ensemble des brevets de petites molécules en Europe, aux États-Unis et au Japon, 6 % seulement des ventes 2012 y sont encore vulnérables. C’est l’une des expositions au problème des brevets les plus basses de tout le secteur. De toute évidence, la performance de nos plateformes de croissance est excellente et devrait se poursuivre. Nous avons bien progressé dans le domaine de la R&D. Comme je le disais, nous avons déposé cinq dossiers d’enregistrement de nouvelles molécules auprès des autorités aux États-Unis et en Europe. Nous avons 18 nouveaux médicaments potentiels susceptibles d’être lancés d’ici 2015, et nous lançons actuellement plusieurs programmes en phase finale de développement tels que notre PCSK9, qui semblent extrêmement prometteurs. Bien sûr, lswa perte de certains médicaments vedettes pèse sur les marges. Nous avons donc lancé un ambitieux programme de réduction de coûts de 2 milliards d’euros, y compris des synergies chez Genzyme, d’ici 2015. Nous sommes donc pleinement confiants quant à la réalisation de nos prévisions à moyen terme (publiées en septembre 2011) et à notre capacité à quitter la zone de « turbulence brevetaire » avec un taux moyen de croissance proche de 5 % entre 2012 et 2015. Nous escomptons un effet de levier sur le compte de résultat et bien entendu, nous comptons rester très attentifs au rendement pour nos actionnaires sur cette période. Donc pour moi, l’année 2012 sera difficile, il nous faudra travailler très dur, mais je pense que Sanofi est parfaitement positionné pour sortir la tête haute de cet épisode de falaise brevetaire.
EBM : Le rendement pour l’actionnaire joue un rôle central dans la réévaluation du secteur de la santé. Quel rôle jouent les dividendes et les rachats d’actions dans l’évolution de vos capitaux propres ?
CV : Bien entendu, le rendement pour l’actionnaire est absolument capital, raison pour laquelle nous entendons renforcer la politique de dividende. Ainsi, le dividende payé l’an dernier au titre de l’année 2010 correspond à un taux de distribution de 35 %. Nous pensons pouvoir - et devoir - faire mieux. Nous avons donc pris l’engagement d’améliorer le ratio de dividende jusqu’à 50 % en 2014, lors du paiement du dividende au titre de 2013. C’est pourquoi nous proposons de payer au titre de l’exercice 2011 un dividende de 2,65 euros. Cela représente une augmentation de 6 % et porte notre taux de distribution à 40 %. En outre, nous avons déjà manifesté notre intérêt pour des opérations opportunistes de rachat d’actions. Nous en avons réalisé en 2011 à hauteur de 1 milliards d’euros, et nous continuerons en 2012. Entre une politique opportuniste de rachat d’actions et une politique d’augmentation du taux de distribution, nous estimons proposer aux actionnaires une occasion de placement intéressante.
EBM : Chris Viehbacher, je vous remercie.
CV : Merci à vous !