EuroBusiness Media (EBM) : Orange, premier opérateur français de téléphonie et l’un des leaders européens du secteur, publie ses résultats pour l’exercice 2013. Stéphane Richard, bonjour. Vous êtes le Président-directeur général d’Orange. Quels sont les faits saillants de 2013 ? Et en particulier, de quoi êtes-vous le plus fier ?
Stéphane Richard : Tout d’abord, pour 2013, nous avions pris quatre engagements majeurs, et nous les avons atteints. Nous avions promis de réaliser un EBITDA supérieur à 7 milliards d’euros : engament tenu, nous sommes à €7,02 milliards. Deuxième engagement : notre solvabilité. Nous avions promis de maintenir le ratio dette nette/EBITDA aux alentours de 2,2. Fin 2013, nous sommes exactement à ce chiffre, grâce à une gestion très prudente de notre bilan et de notre endettement. Troisième engagement : nous avions annoncé un dividende par action de €0,8, et j’ai le plaisir de confirmer ce chiffre. En juin, nous paierons donc le solde de 50 centimes sur la base du résultat 2013. Le quatrième engagement concernait notre politique fusions et acquisitions. Sur ce thème, nous voulions nous montrer très opportunistes, très pragmatiques et très attentifs à l’évolution de notre portefeuille d’actifs. C’est ce que nous avons fait. Nous avons désinvesti en 2013 de certains actifs non stratégiques, et nous allons encaisser en 2014 un peu plus d’€1 milliard de trésorerie. Ces cessions nous aideront à rester parfaitement maîtres de notre solvabilité cette année. Dans l’ensemble, je suis donc très satisfait de l’excellente performance du groupe. Je tiens d’ailleurs à remercier toutes les équipes qui, en France et ailleurs, ont rendu ce résultat possible.
Vous m’avez aussi demandé de quoi je suis le plus fier. Dans ce beau palmarès, il y a probablement deux éléments qui me remplissent d’une satisfaction et d’une fierté particulières. Le premier, c’est notre structure de coûts. Nous sommes l’opérateur historique dans de nombreux pays. Il nous est donc plus difficile, par comparaison à d’autres opérateurs non historiques ou apparus plus récemment dans le secteur, de réduire notre structure de coûts. Début 2013, nous nous étions pourtant engagés à les réduire de €600 millions. Nous avons réussi à pousser cet effort jusqu’à plus de €900 millions. Je suis donc ravi de voir que les efforts conjugués de tous, dans l’ensemble du groupe, ont abouti à cette remarquable performance qu’est une réduction des coûts de plus de €900 millions. C’est la preuve l’excellente maîtrise des coûts d’Orange.
L’essentiel de ce résultat a d’ailleurs été réalisé dans nos activités françaises, celles où la réduction de la structure de coûts est probablement la plus difficile à réaliser. Nous avons réduit les coûts directs, mais aussi les coûts indirects, par une réduction d’effectifs et par une baisse des frais généraux, soit probablement les thèmes les plus difficiles à aborder. Nous avons donc réalisé collectivement une excellente performance, et nous devrons bien entendu continuer d’y travailler en 2014.
Le deuxième point que je tiens à souligner est celui de l’élan commercial que nous avons réussi à maintenir sur tous nos grands marchés. Prenons un exemple : en France, sur le très difficile et très compétitif marché mobile, nous avons enregistré en 2013 la plus grande progression, en nombre de clients supplémentaires, depuis 2009. Nous en sommes aujourd’hui à plus de 700.000. C’est un résultat absolument remarquable. En 2013, la part de marché en valeur d’Orange progresse malgré une concurrence féroce et la guerre des prix que connaît le marché français. Je pense que la preuve est faite : nos outils marketing sont efficaces. Je vais y revenir.
Dans d’autres pays comme la Pologne ou l’Espagne, en dépit d’un environnement très difficile, nous avons réalisé une excellente performance commerciale. Dans ces pays, nos parts de marché sont également en hausse. Ici aussi, je pense que cela démontre l’efficacité et la compétitivité de notre marketing.
EBM : Vous avez pris certaines décisions stratégiques très fortes. Portent-elles leurs fruits aujourd’hui ?
Stéphane Richard : Absolument. Je vais m’attarder à ce que nous avons décidé en matière de réseaux et d’offre de la meilleure connectivité possible - avec la vitesse la plus élevée possible - dans le segment mobile Broadband, avec la 4G, mais aussi dans le réseau fixe, avec la fibre optique.
Nous avons très clairement décidé, dans notre politique d’investissement, d’affecter des ressources considérables à la 4G et à la fibre optique. En 4G, nous devançons la concurrence dans la plupart des pays où nous sommes implantés. En France, fin 2013, nous avons 50% de couverture 4G LTE, celle qui offre le plus haut débit du marché, et nous serons à 70% fin 2014. Nous sommes n° 1 en Espagne, et nous avons lancé la 4G dans toutes nos implantations européennes. Même en Afrique et au Moyen-Orient, où nous parlons encore de 3G, nous offrons des services 3G dans 17 des 20 pays où nous sommes implantés. Nous avons même lancé la 4G dans deux pays africains. En connectivité mobile à large bande, Orange propose de toute évidence la meilleure connectivité ; Orange devance ses concurrents, et le marché y réagit très favorablement.
Ainsi en France, nous comptons déjà 1 million de clients 4G à fin 2013. Au Royaume-Uni, nous sommes même à plus de 2,5 millions de clients 4G. Pour les réseaux fixes, ce qui nous occupe est la fibre optique (et le VDSL dans certains pays). La France est un exemple parfait de l’utilité de la fibre optique pour nous différencier et nous rendre plus concurrentiels sur le marché. C’est grâce à la fibre optique, et en particulier à nos ambitions dans ce domaine, que nous avons su capter une excellente part de marché en 2013. Plus des deux tiers des nouveaux clients en fibre optique sont des clients Orange. C'est véritablement un outil très efficace de relance et de reconquête de parts de marché dans les zones densément peuplées, où certains opérateurs récents nous avaient activement concurrencés par le passé. De toute évidence, la fibre optique est un instrument extrêmement puissant pour regagner cette clientèle.
Les premiers résultats réalisés en 2013 prouvent clairement le bien-fondé des actions entreprises, qu’il s’agisse des réseaux, de l’étendue de la gamme ou des réseaux mobiles, à large bande et fixes.
EBM : Quels sont à vos yeux les leviers de votre croissance future ?
Stéphane Richard : Nous opérons dans un secteur extrêmement instable. Je ne m’attends donc pas à ce que l’année 2014 soit tranquille et calme. Notre environnement va rester très difficile, caractérisé par une concurrence de plus en plus vive, une pression marquée à la baisse des prix dans tous nos marchés et des mutations technologiques brusques. Parmi les grandes tendances qui se dessinent aujourd’hui dans le secteur, je m’attarderai sur quatre thèmes, quatre ruptures.
Tout d’abord, ce que j’appellerais une rupture de marché. Depuis quelque temps, nous assistons à une rapide mutation où le marché traditionnel, constitué pour une large part d’offres subventionnées, fait place à un marché composé d’offres SIM-only ou Web-only. Attention, il ne s’agit pas là d’offres à bas coût, car les offres SIM-only se déclinent en offres bas de gamme, mais aussi haut de gamme, associées à du service et du contenu. Nous devons être prêts à répondre à ces nouvelles tendances. Nous devons élaborer les meilleures offres pour y répondre. Nous devons donc proposer toute la gamme d’offres SIM-only et Web-only depuis l'entrée de gamme, avec nos marques spécialisées comme Sosh en France ou New Mobile en Pologne, jusqu’au haut de gamme et aux offres premium.
La deuxième grande tendance que j’observe est celle de la convergence. Chez Orange, le sujet de la convergence nous occupe depuis longtemps. Nous avons toujours été persuadés qu’elle serait déterminante pour ce marché et pour la demande. Et c’est ce qui se réalise aujourd’hui. En Europe, des clients de plus en plus nombreux optent pour les offres convergentes qui combinent la téléphonie mobile et l’accès fixe. C’est devenu l’un des principaux axes de développement du marché. Dans chacun des pays où nous proposons une offre exclusivement mobile, nous devons donc nous assurer l’accès à un réseau fixe afin de proposer une offre convergente. Manifestement, en 2014, cela sera difficile dans certains pays européens. Je suis enchanté de voir certains grands opérateurs tels que Vodafone, désormais convaincus de l’importance de la convergence pour le marché, partir à la recherche d’actifs câblés partout en Europe. Bref, les deux grandes tendances actuelles du marché, pour moi, sont l’offre SIM-only - mais une offre SIM-only riche et diversifiée - et la convergence. Voilà pour la première rupture.
La deuxième rupture concerne l’usage, les habitudes de consommation de nos clients. De toute évidence, la révolution numérique est en marche, et nous nous attendons à une explosion dans l’usage : consommation multi-écrans, avec une offre illimitée de services désormais disponibles sur Internet, sans compter l’appétit croissant de nos clients et de nos usagers pour le haut débit, le broadband fixe ou mobile. Cette évolution valide la stratégie, que nous mettons actuellement en œuvre, de déploiement de nouveaux réseaux mobiles et fixes. Cette tendance lourde d’explosion de l’usage et d’appétit croissant de nos clients pour le haut débit est particulièrement impressionnante, comme en témoigne le mois de décembre 2013. Je la vois progresser encore et se confirmer en 2014.
La troisième rupture est celle de la digitalisation de la relation Client, qui devrait encore s’accélérer sur l’ensemble de nos activités. Tout d’abord, le client-consommateur exige une expérience de plus en plus numérique. Une fois de plus, nous devons être prêts à la lui proposer. Nous devons probablement être plus efficaces dans la relation clientèle en ligne. Nous devons aussi nous montrer encore plus efficaces dans notre relation multicanaux, parce que le public passe de plus en plus souvent, de plus en plus vite et de plus en plus facilement d’un canal à l’autre. Nous devons donc être en mesure de prendre soin de nos clients, tant en boutique qu’en centre d’appels que sur le web. Cette évolution vers le numérique dans l'expérience utilisateur est essentielle, et je crois qu'elle va se confirmer encore dans les prochains mois.
Mais cette digitalisation est également une réalité au sein de l’entreprise : dans notre mode de travail, dans notre mode de coopération au sein de l’entreprise, mais aussi dans les habitudes de gestion de l’entreprise. Comme vous le voyez, la tendance vers le numérique montrera ses effets tant à l’extérieur de l'entreprise, dans ses contacts avec la clientèle, qu'au sein de l'entreprise.
La quatrième rupture que je vois survenir en 2014 concerne le secteur lui-même. Cela fait plusieurs années que j’explique à qui veut l’entendre que le secteur européen des télécoms est trop fragmenté. Depuis plusieurs années, il a été organisé, à force d’initiatives réglementaires, en fonction du raisonnement des autorités de la concurrence, dans un objectif unique : proposer aux consommateurs la tarification la plus basse possible. C’est agréable pour le consommateur, mais cela ne garantit pas que le secteur disposera des ressources nécessaires pour véritablement investir et innover dans l’avenir des réseaux ou dans l’innovation, la recherche et le développement. J’ai le sentiment que la plupart des politiciens et des dirigeants du secteur en ont maintenant pris conscience.
Je suis donc convaincu que 2014 verra le début d’une phase de consolidation dans le secteur européen des télécoms. Celle-ci pourra se dérouler dans le secteur de la téléphonie mobile, auquel cas nous devrions assister à une diminution du nombre d’opérateurs mobiles. Comme vous le savez, plusieurs dossiers intéressants pourraient se profiler en Irlande, en Allemagne, peut-être en Italie et en France, où les rumeurs de consolidation se multiplient.
Nous assisterons également à une consolidation entre opérateurs fixes et mobiles. Sans compter les opérateurs câblés à la recherche d’une offre mobile, ou d’opérateurs SIM-only à la recherche d’une offre fixe (et donc, dans la plupart des cas, câblée). Je pense que l’Europe va connaître un nombre croissant d’opérations de consolidation fixe-mobile ces prochains mois. C’est la quatrième rupture importante que je prévois pour le secteur. En matière de fusions et d’acquisitions, l’année qui commence devrait s’avérer agitée.
EBM : Vous venez de modifier vos prévisions. À propos, justement, de vos prévisions EBITDA, pourriez-vous préciser vos perspectives ?
SR : Il est exact qu’en 2014, j’ai essentiellement parlé de stabilisation de l’EBITDA. Pour le management, c’est l’indicateur le plus aisé et le plus pertinent à surveiller dans un esprit d'orientation de nos activités en fonction de notre génération d’EBITDA. C’est pour cette raison que nous avons décidé, logiquement, naturellement, de proposer au marché une prévision basée sur la génération d’EBITDA. En effet, l'EBITDA est la source de tout : c’est la source des flux de trésorerie ; c’est également un outil efficace de gestion du bilan ; c’est le meilleur indicateur pour quiconque veut évaluer la performance commerciale et financière de la société. C’est pour cette raison que nous avons, très logiquement, décidé de proposer au marché financier une prévision basée sur l’EBITDA.
Pour 2014, je tiens à confirmer que la direction du groupe vise avant tout à stabiliser l’EBITDA. Cela veut dire que nous commencerons, à tout le moins, par stabiliser la marge d’EBITDA. Bien sûr, notre chiffre d'affaires reste soumis à d’intenses pressions. Pour stabiliser la marge d’EBITDA, nous devons donc logiquement travailler une fois de plus à notre base de coûts. Nous annonçons donc une prévision d'EBITDA se situant dans une fourchette de €12,1 à €12,6 milliards (sur la base du périmètre avant cession de la République Dominicaine). €12,6 milliards est le chiffre atteint en 2013. Autrement dit, pour atteindre le point le plus bas de la fourchette, nous devrons stabiliser la marge d’EBITDA ; pour atteindre le point le plus haut, il nous faudra stabiliser l’EBITDA en termes absolus. C’est donc un objectif ambitieux, mais encore une fois, la direction y souscrit à 100%.
Au-delà de l'EBITDA, qui sera au cœur de notre prévision, nous continuerons d’orienter nos choix et nos décisions en fonction de la structure du bilan. Nous voulons maintenir l’excellente solvabilité du groupe. Le ratio de dette nette sur EBITDA devra retomber à 2 ou s’en rapprocher. Aujourd’hui, il se situe à 2,2. Je tiens à rappeler l’existence d’un litige fiscal très important en 2013 (€2 milliards), qu’il nous faudra absorber au fil des prochains mois.
En matière de génération d’EBITDA, nous savons que notre chiffre d'affaires va rester sous pression, parce que nous opérons sur des marchés très concurrentiels en Europe. La meilleure manière de réaliser l’objectif EBITDA consistera à nous attaquer à notre base de coûts. Et c’est ce que nous allons faire. Après l’excellente performance de 2013, nous allons poursuivre nos efforts sur nos coûts. Il s’agit véritablement d’un engagement collectif de l’entreprise, où chaque collaborateur doit comprendre l’impérieuse nécessité de l’exercice, et doit trouver à l'égard de la société un degré de satisfaction garant de son engagement personnel à atteindre cet objectif. En 2014, nous allons travailler dur sur notre base de coûts, parce que c’est la meilleure manière d’atteindre notre objectif d’EBITDA.
En matière de solvabilité, l’autre point important concerne les fusions et acquisitions. Dans ce domaine, nous comptons rester très prudents, très pragmatiques et opportunistes. Je vous l’ai dit, nous allons percevoir en 2014 le produit des cessions réalisées en 2013. J’ai évoqué quelques perspectives de consolidation internes au marché. Dans certains pays européens, nous tenterons de nous y assurer la convergence, mais en restant très, très prudents, s’agissant de fusions et d’acquisitions.
EBM : Dernier point : quelle sera votre politique de dividendes ?
SR : Laissez-moi rappeler le contexte : les incertitudes propres à ce marché, la guerre des prix qui fait rage dans plusieurs grands pays européens dont la France, la priorité absolue que nous accordons au maintien de notre solvabilité, à la bonne gestion de notre endettement et au maintien d’un ratio de dette nette sur EBITDA proche de 2. De toute évidence, en matière de dividende, nous devons trouver un équilibre entre accorder à nos actionnaires un rendement très attrayant, mais aussi prendre en compte toutes ces incertitudes et préserver la flexibilité indispensable pour gérer à la fois les opportunités et notre bilan.
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au conseil d'administration de verser un dividende de 60 centimes par action en 2014, avec un premier versement de 20 centimes à la fin de l’année. Ce montant constituera pour nos actionnaires un rendement très attrayant, tout en nous assurant la flexibilité nécessaire, en cette période d’incertitude où la pression sur les prix et sur notre chiffre d'affaires reste intense.
EBM : Stéphane Richard, P-DG d’Orange, merci beaucoup.
SR : Merci à vous.