EuroBusiness Media (EBM) : Sanofi, un leader mondial et diversifié de la santé, organise aujourd’hui son Séminaire Thématique Relations investisseurs, particulièrement axé, cette année, sur le thème « Stratégie et perspectives ». M. Viehbacher, bonjour et bienvenue. Vous êtes le Directeur Général de Sanofi, et vous présidez depuis peu aux destinées de PhRMA, l’association représentant l’ensemble de l’industrie pharmaceutique aux États-Unis. Avant d’aborder les perspectives de Sanofi, j’aimerais m’adresser au président de PhRMA et lui demander de commenter les principales difficultés que rencontre aujourd’hui le secteur.
Chris Viehbacher : Dans l’ensemble, les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui sont les mêmes qu’il y a dix ans et plus. Un certain nombre de nos produits importants parviennent au terme de leur vie, c.-à-d. au terme de leur brevet. Les nouveaux produits arrivent en nombre insuffisant. Le contexte économique est difficile.. Les gouvernements cherchent à réduire leurs déficits, ce qui a impacté notre activité, soit par des baisses de prix ou des rabais supérieurs, comme nous l’avons vu avec la réforme de la santé aux Etats-Unis. Ce sont des problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis longtemps. Ce que l’on ignore souvent, c’est que le secteur a fait preuve d’une extraordinaire résilience. Voyez nos cash-flows et notre rendement : le secteur a prouvé sa capacité à surmonter bien des difficultés. Notre mission, chez PhRMA, consiste à rappeler l’importance stratégique de l’industrie pharmaceutique. Face aux perspectives économiques peu brillantes du moment, la question qui se pose est : « qu’est-ce qui va nous sortir de l’ornière ? ». Or depuis toujours, l’innovation à joué ce rôle essentiel, notamment dans le secteur de la santé, bien sûr, mais aussi dans le secteur informatique, celui des biens de consommation, etc. Il est donc essentiel que les États continuent d’encourager l’innovation. Cela passe par la formation, mais aussi par l’aide aux secteurs qui investissent réellement dans l’innovation. Nous voulons situer l’industrie pharmaceutique au cœur de cette stratégie. Les difficultés à résoudre sont innombrables, mais s’il est un secteur capable non seulement d’améliorer la santé publique mais aussi de créer des emplois, c’est bien celui-ci.
EBM : Pour en revenir à Sanofi, vous avez été nommé CEO il y a exactement trois ans. Depuis lors, quelles sont les transformations que vous avez imprimées au groupe pour le préparer aux difficultés et aux opportunités que vous venez de décrire ?
Chris Viehbacher : Il y a trois ans, Sanofi connaissait l’une des falaises brevetaires les plus concentrées et les plus massives du secteur. Nous allions perdre Plavix® et Taxotere®, nous venions d’enregistrer un échec en R&D avec Acomplia®. Depuis deux ans, nous avons complètement transformé nos activités selon trois axes stratégiques. Le premier a consisté à transformer complètement notre pôle R&D. Nous avions dépensé des fortunes en R&D mais n’avions pas de nouveaux produits à lancer. Le deuxième axe aura consisté à investir les importants flux d’autofinancement du groupe dans de nouvelles sources de croissance externes. Quant au troisième axe, il a consisté en un remodelage du groupe en six nouvelles plateformes de croissance. En l’occurrence, il ne s’agissait pas simplement de remplacer les ventes que nous allions perdre à cause de la concurrence générique, mais bien de restructurer l’activité dans des domaines présentant un important potentiel de croissance à l’échelle mondiale, surtout dans des domaines présentant des barrières à l’entrée, sans lien avec un brevet. Manifestement, dans ce troisième axe, l’entreprise détenait des compétences et une expertise particulières. Aujourd’hui, nos plateformes de croissance sont les Marchés émergents, où notre groupe n’a pas d’égal, la Santé grand public et la Santé animale, ainsi que les Vaccins et le Diabète. Bien entendu, l’activité R&D restera un des fondements de notre activité. L’innovation est inscrite dans nos gènes ! C’est pour cela que notre sixième pôle est celui des Produits innovants. Nous avons déboursé près de 23 milliards d’euros pour des acquisitions. D’ici 2015, ces acquisitions représenteront à peu près un tiers du groupe. Quant à nos plateformes de croissance, elles représentent aujourd’hui les deux tiers de notre activité, et ce pourcentage passera à 80% d’ici 2015. Nous prévoyons de réaliser 38 à 40% de notre activité dans les marchés émergents. En parallèle, nous avons redessiné la structure de coûts du groupe, puisque tous ces pôles d’activité présentent tous des profils d’investissement différents ; nous avons donc élaboré un plan visant à réaliser 2 milliards d’euros d’économies. Sans cesser d’investir massivement, particulièrement dans ces plateformes de croissance et dans les marchés émergents. Tout ceci me conforte dans l’idée que nous sommes sur le bon chemin pour dépasser l’écueil de la falaise brevetaire, et que nous orientons le groupe sur la voie d’une croissance solide et durable.
EBM : Vous avez mentionné les plateformes de croissance. À l’issue du séminaire Relations investisseurs, qu’aimeriez-vous que l’investisseur en retienne ?
Chris Viehbacher : Cette « falaise brevetaire » est la quatrième de ma carrière. Mes collaborateurs sont fatigués de l’entendre ! Alors toute mon action vise à éviter d’en connaître une cinquième. La question qui se pose, c’est « comment ? ». Pour éviter cette cinquième falaise brevetaire, il faut réduire la dépendance du groupe à l’égard de petites molécules chimiques à faible durée de vie brevetaire, où l’activité peut disparaître en très peu de temps. Il faut chercher des métiers naturellement dotés d’une certaine barrière à l’entrée : par le niveau des capitaux à investir, par la notoriété de nos marques (par ex. en Santé grand public), par notre implantation dans de nombreux marchés émergents depuis 50 ans, voire plus, avec un accès aux talents et des capacités de production. Ces activités sont véritablement résilientes et susceptibles de croître à long terme. Voilà pourquoi nous les avons baptisés « plateformes de croissance ». Cela dit, nous sommes très loin d’avoir abandonné nos efforts de R&D, qui restent substantiels. Mais nous pouvons investir davantage en vaccins et en produits biologiques à durée de vie plus longue et y améliorer nos chances de succès. Je l’ai déjà dit et je le répète, notre ambition ne se limitait pas à compenser la perte de produits phares tels que Plavix® sous l’effet de la concurrence générique. Il s’agissait de placer notre groupe sur une voie de croissance qui ne doive pas tout à nos efforts de R&D, qui ne doive pas tout à nos brevets. Toutes ces plateformes de croissance ont désormais atteint la masse critique : elles représentent les deux tiers de nos activités aujourd’hui, et en représenteront 80% en 2015. Et elles progressent toutes. Nous avons deux plateformes en voie de croissance rapide. Voyez les Marchés Émergents : imaginez un marché de 6 milliards d’humains dont vous n’auriez qu’égratigné la surface ! Notre acquisition de Genzyme a créé deux nouvelles sources de croissance, dans le domaine des maladies rares, mais également dans celui de la sclérose en plaques où nous allons lancer deux nouvelles molécules majeures. D’autres métiers progressent entre 7 et 9% : nos activités Diabète et Santé grand public. Toutes ces activités ont manifestement un potentiel de croissance, et l’activité Vaccins en fait partie. Merial devrait progresser d’environ 5% soit une progression correcte, témoignant d’une excellente résilience malgré les difficultés économiques actuelles. Dans l’ensemble, nous estimons disposer d’un potentiel de croissance du chiffre d’affaires d’au moins 5% par an en moyenne entre 2012 et 2015.
EBM : Vous avez récemment acquis Genzyme, un leader dans le traitement des maladies rares. Que doit savoir l’investisseur à propos des perspectives de cette importante acquisition ?
Chris Viehbacher : Cette acquisition est bénéfique à deux niveaux : d’un point de vue financier et d’un point de vue stratégique. Sur le plan financier, la transaction contribue aux bénéfices dès la première année, et de manière substantielle. Nous tablons sur 0,75 à 1 euro d’ici 2013. Nous comptons sur des synergies de 700 millions de dollars. Il en découle évidemment un rendement élevé sur capitaux investis. Sur le plan stratégique, cette transaction est fondamentale. Elle nous propulse au premier rang dans l’un des domaines de R&D les plus en pointe, à l’échelle mondiale, mais aussi à Cambridge (Massachussetts, USA), où nous sommes désormais le premier employeur en Sciences de la Vie. J’ai moi-même passé beaucoup de temps au MIT et à Harvard. La biotechnologie et le capital-investissement y connaissent une activité débordante. L’acquisition de Genzyme nous place également au premier rang en biotechnologie. Le groupe y était trop peu présent, malgré l’importance de notre production de vaccins ou d’insuline. Les anticorps monoclonaux ou la biologie n’étaient pas notre point fort. Ce déficit est désormais comblé. Cette acquisition nous familiarise également avec les maladies rares, qui représentent une gigantesque demande non adressée. Or dans une logique de médecine personnalisée poussée à l’extrême, la plupart des maladies pourraient devenir véritablement des ‘maladies rares’, avec à la fois des biomarqueurs et une population réduite. Enfin, Genzyme était beaucoup plus avancée en recherche translationnelle, elle identifiait ce que la recherche peut faire pour aider le patient. Nous envisageons d’appliquer cette recherche translationnelle à tous les niveaux du groupe Sanofi. C’est une manière de dynamiser certains travaux de R&D pour produire de nouveaux produits tels que Lemtrada™ pour la sclérose en plaques, et pour nous positionner au mieux dans ces domaines de recherche essentiels. Et tous ces avantages, nous les avons obtenus moyennant des conditions financières attrayantes, ce qui explique pourquoi cette opération suscite chez nous tellement d’enthousiasme.
EBM : À propos de R&D, de produits innovants et de « pipeline », que devrait retenir l’investisseur aujourd’hui ?
Chris Viehbacher : Au cours des deux années écoulées, nous avons fait le ménage dans notre pipeline. Nous l’avons analysé en profondeur. Nous avons éliminé plusieurs projets dont la valeur ne nous paraissait pas suffisante. Nous avons soumis le pipeline à un véritable « stress test ». Innocuité et efficacité ne suffisaient pas, il fallait aussi que le projet nous apporte quelque chose non disponible actuellement. Nous avons sensiblement renforcé notre gouvernance pour nous assurer de la solidité de chaque projet soumis à l’étape décisionnelle suivante. Nous avons dû simplifier notre organisation. Notre structure comptait 11 niveaux organisationnels, nous sommes passés à six. Nous avions 18 comités de prise de décision ; nous sommes revenus à trois. Nous avons donc redynamisé l’organisation, et ramené très concrètement nos meilleurs spécialistes à davantage d’activité scientifique. Dans une optique d’innovation, nous avons conclu 61 contrats de développement nouveaux. Nous avons noué des liens avec les plus prestigieuses universités d’Europe, des États-Unis et d’Asie. Aujourd’hui, le groupe est dans une bien meilleure situation. Si vous regardez le pipeline, je pense que nous sommes aussi dans une position intéressante. Nous avions peu communiqué jusque-là sur ce point, qui me semble recéler quelques bonnes surprises. Nous avons six nouveaux produits qui seront prêts pour une demande d’enregistrement dans les 9 mois à venir. En fait, nous avons déjà déposé deux demandes. Six produits nouveaux ! Et il ne s’agit pas de projets de gestion du cycle de vie, mais de nouvelles entités moléculaires, chimiques ou biologiques. C’est une véritable performance ! Je compte même 19 projets dont le lancement pourrait intervenir, si tout va bien, avant fin 2015. Bien que nous ayons consacré beaucoup d’attention aux plateformes de croissance et à la diversification, nos investissements en R&D devraient nous apporter un surcroît de valeur en plus de notre croissance grâce au succès de notre pipeline.
EBM : À la veille de ce séminaire « Relations investisseurs », ces derniers attendaient avec intérêt vos prévisions, annoncées aujourd’hui, pour la période « post-expiration brevetaire » après l’acquisition de Genzyme. Sanofi va-t-il redevenir un groupe en croissance ?
Chris Viehbacher : Certainement ! Avant d’aborder le plus long terme, il me semble utile de rappeler qu’en juillet 2009, nous avions formulé des prévisions à l’horizon 2013. Celles-ci annonçaient un niveau de chiffre d'affaires et de bénéfices comparable, tant à l’entrée qu’à la sortie de cette phase d’expirations brevetaires. Nous sommes aujourd’hui en mesure de confirmer cette prévision, et nous pouvons également confirmer que s’y ajoute l’accrétion due à Genzyme. Mais pour la plupart des investisseurs, cette information est déjà dépassée. Ce qu’ils veulent connaître, c’est le chemin que suivra le groupe au-delà de la phase d’expiration brevetaire. C’est l’objet de notre séminaire. Nous avons déjà évoqué l’évolution favorable du chiffre d'affaires de nos plateformes de croissance, qui représenteront environ 80% de notre activité d’ici 2015. Pour cette période 2012-2015, nous estimons que ces plateformes de croissance nous permettront d’atteindre une croissance du chiffre d’affaires d’au moins 5% par an en moyenne. Or toute entreprise bien gérée se doit de bénéficier d’un levier opérationnel. Dès lors, si nous prétendons réaliser une croissance de chiffre d'affaires de 5% au moins, la croissance du BPA que nous devons réaliser doit être plus élevée. Pour y parvenir, et puisque nos activités exigent tantôt des investissements, tantôt des désinvestissements, nous nous sommes déjà engagés sur un objectif d’économie supplémentaire de 2 milliards d’euros d’ici 2015.
EBM : Pour conclure, parlons du rendement pour l’actionnaire. Compte tenu de la fébrilité boursière actuelle, quel message adressez-vous à l’investisseur à propos du programme de dividende et de rachat d’actions de Sanofi ?
Chris Viehbacher : J’estime que le groupe Sanofi remodelé présente un profil de croissance durable et solide du chiffre d'affaires. J’estime que la direction du groupe a fait la preuve de ses capacités d’exécution. Nous allons continuer à avoir une très forte génération de flux de trésorerie ainsi qu’une discipline budgétaire. Cela nous permettra de mieux réfléchir au rendement pour l’actionnaire. Il me semble que le meilleur outil, pour octroyer un rendement élevé à l’actionnaire, c’est la distribution de dividendes. Nous aurons aussi recours, de manière opportuniste, à des rachats d’actions. Mais il s’agit là d’opérations ponctuelles. S’engager sur une politique de dividendes, c’est s’engager sur l’avenir du groupe, ce qui constitue aussi une manière de procurer des rendements à long terme à ses actionnaires. Par où commencer ? Le dividende 2010, distribué récemment, en 2011, correspondait à un taux de distribution d’environ 35%. Si nous maintenons ce taux de distribution constant, le dividende devrait progresser au gré de la croissance prévue du BPA d’ici 2015. Mais nous pensons pouvoir faire mieux. Nous pensons pouvoir augmenter progressivement notre taux de paiement de dividendes à 50%. Et nous pensons pouvoir le faire dès le paiement du dividende 2013, qui sera payé en 2014. Pour me résumer, je pense qu’avec que l’effet combiné de la progression du chiffre d'affaires, de la baisse du profil de risque (avec un des taux de risque d’expiration de brevets les plus faibles du secteur), d’un historique de qualité d’exécution et d’une politique de dividendes qui vise à créer de la valeur pour l’actionnaire, nous avons créé un cocktail intéressant pour nos investisseurs.
EBM : Chris Viehbacher, CEO de Sanofi, je vous remercie.
Chris Viehbacher : Merci, Adrian.