EuroBusiness Media (EBM) : Sanofi-aventis, l’un des leaders mondiaux de la santé, publie ses résultats du 2e trimestre 2010. Chris Viehbacher, bienvenue. Vous êtes le Directeur Général de sanofi-aventis. Pouvez-vous commenter en quelques mots la performance du Groupe au 2e trimestre, et en particulier les mesures d’économies qui ont été prises ?
Chris Viehbacher (CV) : Au deuxième trimestre, la transformation de notre groupe poursuit son cours. Comme nous nous y attendions depuis quelque temps déjà, nous observons une érosion des ventes sur certains de nos principaux produits. En Europe, par exemple, nous ressentons la concurrence générique sur Plavix®. C’est également le cas de l’Eloxatine® aux États-Unis. Malgré cet impact des génériques, le groupe a su faire croître son chiffre d'affaires au premier semestre ; même au deuxième trimestre, le chiffre d'affaires s’est maintenu, ne reculant que d’un pour-cent à peine. Bien entendu, notre bénéfice s’est accru, même au deuxième trimestre, grâce à des mesures rigoureuses de contrôle des coûts. Bien sûr, une entreprise ne se construit pas sur des mesures de contrôle des coûts. C’est cependant un élément essentiel de la transformation du groupe, dans un contexte de redistribution de nos ressources et de simplification de notre structure, à tous les niveaux de la société. Les services centraux du groupe ont été les premiers, l’an dernier, à traverser une phase de restructuration en profondeur. En R&D, nous avons voulu resserrer les liens de collaboration entre nos chercheurs et aplatir notre structure. Nous y sommes passés de 11 à 6 niveaux hiérarchiques. Nous avons également décidé de réduire le nombre de nos sites, de 28 en 2009 à bientôt 16 en 2011. Dans les unités de production, nous sommes de plus en plus attentifs aux coûts, aux achats, et à la rationalisation des sites. Côté ventes, nous avons décidé de réduire sensiblement nos ressources commerciales sur les marchés traditionnels que sont les États-Unis et l’Europe pour investir massivement dans les pays à croissance très rapide que sont les pays émergents.
EBM : Dans le domaine du Diabète, vous avez réalisé une fois de plus une croissance à deux chiffres ce trimestre. Devant l’évolution potentielle de la concurrence dans ce domaine, votre objectif de doublement du chiffre d'affaires dans le secteur du Diabète entre 2008 et 2013 vous semble-t-il toujours réalisable ? Par ailleurs, quelle importance revêt votre partenariat avec AgaMatrix dans le domaine des systèmes de Surveillance de la Glycémie Sanguine ?
CV : Nous sommes tout à fait convaincus de pouvoir réaliser cet objectif. Le potentiel est gigantesque : malheureusement, plus de 280 millions de personnes dans le monde souffrent du diabète de type I ou de type II. C’est l’un des plus importants marchés pour notre industrie. En l’occurrence, sanofi-aventis bénéficie d’un positionnement unique pour tirer parti de ce potentiel en sa qualité de premier producteur mondial d’insuline, mais aussi de fabricant de l’Amaryl®, un produit qui reste très demandé dans certaines régions du monde. Et nous sommes en voie de proposer une offre de produits très complète. Notre métier ne consiste plus seulement à vendre Lantus®, mais à aider les patients atteints du diabète. Notre accord avec AgaMatrix est précieux à cet égard. Aujourd’hui, les producteurs de glycomètres ne produisent pas d’insuline et les producteurs d’insuline ne produisent pas de glycomètres. Autrement dit, il manque un système susceptible de donner au patient ce dont il a besoin. C’est pour nous l’occasion de combiner les technologies afin d’offrir simultanément des outils pédagogiques, des instruments et de l’insuline, mais aussi, au fur et à mesure du développement de nouveaux médicaments, de compléter notre gamme de produits. C’est pour cette raison que nous avons constitué une division « diabète » plutôt que de nous borner à ajouter un produit à notre portefeuille. C’est une approche totalement différente, très excitante, et je suis persuadé que sanofi-aventis a toutes les chances de devenir leader sur ce marché.
EBM : Vos dernières acquisitions le confirment : vous êtes en train de prendre fermement pied dans le domaine de la Santé Grand Public. Où en êtes-vous de l’acquisition Chattem aujourd’hui, et quelles sont les perspectives liées à la conversion de l’Allegra® de médicament de prescription à produit en vente libre aux États-Unis ?
CV : Nous avons enregistré une très importante progression du chiffre d'affaires l’an dernier, de 320 millions d’euros à plus d’un demi-milliard d’euros au T2 2010. Cette progression provient pour partie de la croissance interne, aux environs de 15-16% ; le solde provenant évidemment de la croissance externe. L’acquisition de Chattem a été un véritable succès. Nous voulions avant tout disposer aux États-Unis d’une plateforme susceptible d’y lancer Allegra® en vente libre. Nous avons réussi à déposer le dossier de conversion dès le mois de mars, et tout progresse bien de ce côté. Nous continuons d’acquérir des entreprises et de renforcer notre présence mondiale : nous avons par exemple annoncé un nouvel accord de collaboration dans le domaine de la Santé Grand Public en Chine. C’est une activité particulièrement importante parce qu’elle nous met directement en contact avec le client. Plusieurs de nos marques connaissent une croissance depuis plusieurs décennies, nous assurant cette durabilité dans la croissance de même qu’une image de médicaments abordables, quel que soit le pouvoir d’achat. Je suis donc un très grand partisan du secteur de la Santé Grand Public, que nous allons développer davantage.
EBM : La récente autorisation de mise sur le marché du Jevtana® et le passage en Phase III de l’iniparib, également appelé BSI-201 ainsi que le retour de l’Eloxatine® sur le marché américain marquent un pas important dans le secteur de l’oncologie. Quelles sont vos perspectives dans ce secteur ?
CV : Vous savez, l’oncologie est l’un des domaines qui m’apporte la plus grande fierté. Pas seulement du point de vue économique, mais aussi parce que je veux que notre groupe s’engage activement dans la lutte contre le cancer. Il y a encore un an, nous n’étions pas vraiment équipés pour cela. À peine un an plus tard, à l’issue d’une des approbations les plus rapides jamais réalisées pour un médicament anticancéreux, nous avons obtenu l’autorisation de mise sur le marché pour le Jevtana®, qui procure un taux de survie de 30% dans le cancer avancé de la prostate. Il y a là d’une part un besoin énorme, sans réponse, et d’autre part un nouveau médicament de première importance, sorti tout droit des laboratoires de sanofi-aventis. Pour l’iniparib le programme de développement clinique démarre en trombe. J’étais présent au congrès de l’ASCO, où j’ai participé à la réunion des chercheurs. Personne n’avait encore jamais vu mettre en place un programme de développement clinique si étendu en si peu de temps ; nous attribuons ce succès à notre décision de laisser à BiPar, le développeur de l’iniparib, toute son autonomie. Lors du congrès 2009 de l’ASCO, nous disposions d’un résultat d’étude de Phase II annonçant une amélioration très substantielle (60%) du taux de survie pour le cancer du sein triple négatif. Nous en sommes aujourd’hui à la Phase III pour ce produit, dans des indications de cancer triple négatif. Nous avons entamé une étude de Phase III pour le cancer squameux du poumon. Nous avons deux études en cours pour le cancer de l’ovaire. Nous avons également lancé une nouvelle étude en Europe, sur le dosage. De très nombreux patients sont donc concernés, et nous prévoyons de lancer ce nouveau produit dans le monde entier d’ici 18 à 24 mois. Bien sûr, dans l’intervalle, nous avons poursuivi sur notre lancée et conclu plusieurs partenariats en vue d’alimenter ce portefeuille de recherche. Je prétends - et c’est un avis que j’ai entendu exprimé par plusieurs experts influents - que nous disposons, en oncologie, de l’un des portefeuilles les plus prometteurs du secteur, qui s’est véritablement construit au cours des 12 à 16 derniers mois. Je suis donc ravi des avancées réalisées dans ce secteur.
EBM : Votre présence dans les Marchés Emergents est la plus forte de l’industrie pharmaceutique, et vous annoncez une fois de plus, pour ce trimestre, une croissance à deux chiffres dans cette partie du monde. Une telle croissance est-elle tenable ?
CV : J’étais en Chine la semaine dernière. Que je me trouve au Brésil, en Inde ou en Chine, l’ampleur de la croissance économique reste impressionnante. Depuis toujours, l’industrie pharmaceutique privilégie l’Europe, les États-Unis et le Japon, soit une population d’un milliard de personnes. C’est un grand marché. Mais il y a 6,7 milliards d’humains sur terre, soit 5,7 milliards de personnes que nous n’avons jamais véritablement ciblées en tant que clients. Aujourd’hui, ces marchés représentent plus de 30% de notre chiffre d'affaires, plus que dans n’importe quel autre grand groupe pharmaceutique. Le potentiel est gigantesque, c’est essentiel. Grâce à notre présence déjà ancienne, nous avons su mettre en place un management mais aussi comprendre les cultures et les usages locaux de ces marchés : nous avons d’excellentes forces de terrain, nous avons cultivé des relations avec des universités et d’autres instituts de recherche. J’estime que nous bénéficions là d’une avance que nos concurrents auront du mal à combler. Il s’agit pour l’industrie pharmaceutique d’une occasion unique que nos investisseurs, j’en suis convaincu, sous-estiment lourdement.
EBM : La Santé Animale est devenue une autre source importante de croissance pour sanofi-aventis. Vous avez récemment annoncé une nouvelle coentreprise avec Merial et Intervet, pouvez-vous déjà nous donner un état d’avancement des travaux ?
CV : Nous venons de désigner le nouveau PDG, et le nom de notre nouvelle entité est Merial-Intervet. L’intégration se déroule à notre entière satisfaction, et nous nous attendons à finaliser l’opération au cours du premier trimestre 2011. Comme nous l’avons déjà dit, notre objectif consiste à réaliser une croissance durable. Or l’analyse des fondamentaux du marché de la Santé Animale montre, même au plus fort de la crise économique de 2009, une excellente tenue du chiffre d'affaires, tant pour les animaux de compagnie que pour les animaux de production. Les fondamentaux à moyen et long terme (la croissance de la population, les marchés émergents, l’accroissement des classes moyennes) annoncent un très fort potentiel de croissance dans le domaine de la Santé Animale. Nous sommes donc particulièrement heureux de pouvoir créer, avec notre partenaire Merck, le nouveau leader mondial de la Santé Animale. Il s’agit d’une activité qui aujourd’hui, avant désinvestissements, génère plus de 5,3 milliards de dollars de ventes, pour une valeur sous-jacente implicite de 16 à 17 milliards de dollars si elle était cotée en bourse. C’est donc un métier particulièrement important pour nous, et l’intégration progresse très rapidement.
EBM : Vendredi dernier, la FDA a approuvé un générique de Lovenox® aux États-Unis. Certains analystes estiment que cette décision enlève une menace qui pesait sur le titre sanofi-aventis. La fourchette basse de vos objectifs révisés tient-elle compte d’un scénario défavorable d’érosion des ventes de Lovenox® aux États-Unis ? Et qu’en est-il de la situation en-dehors des États-Unis ?
CV : Tout d’abord, dans la situation actuelle, l’érosion due aux génériques sera circonscrite aux seuls États-Unis. La plupart des autres pays ont déjà mis en place des directives selon lesquelles tout lancement d’un générique doit être précédé d’études cliniques. C’est là une position que les États-Unis, à nos yeux, devraient également adopter. S’agissant des effets potentiels en termes d’érosion, nous avons tenté de donner une fourchette. Nous ne connaissons pas exactement, aujourd’hui, les niveaux de prix ou d’érosion à prévoir, et c’est pourquoi nous avons indiqué une fourchette dans nos prévisions. Nous tenterons d’affiner cette fourchette au cours de l’année. Nos autres activités restent parfaitement conformes à nos objectifs initiaux qui, pour rappel, ne tenaient pas compte de la concurrence générique de Lovenox® ; ces autres activités se déroulent en parfaite conformité avec nos attentes. Nous avons maintenant calculé une fourchette pour l’incidence potentielle des génériques aux États-Unis, en y incluant, bien entendu, tous les autres événements qui touchent notre secteur : la réforme des soins de santé aux États-Unis et les baisses de prix en Europe. Nous sommes convaincus de pouvoir réaliser cette fourchette qui se situe entre la stabilité et une baisse de 4%. Il ne faut pas oublier que Lovenox® reste un produit extrêmement important pour la société. L’essentiel de notre volume de ventes s’écoule hors États-Unis. Même sans le chiffre d'affaires réalisé aux États-Unis, Lovenox® reste l’un de nos produits phares. Nous entendons dès lors continuer de le soutenir très fermement dans le reste du monde.
EBM : Maintenant que vous avez terminé d’élaguer votre pipe-line de R&D, que pouvez-vous dire de la transformation de vos efforts de R&D ? Quelles sont les grandes molécules d’avenir que vous voudriez mettre en lumière ?
CV : Je pense qu’aujourd’hui, nous disposons de ce qui se fait de mieux dans les domaines de l’oncologie et du diabète. Nous pourrons en parler à nos investisseurs vers la fin du mois de septembre. Nous voulons approfondir la question à l’occasion d’un séminaire destiné aux investisseurs. Pas seulement pour leur parler « produits », mais surtout pour leur parler de notre approche, et tout particulièrement de l’approche « patients » plutôt que de l’approche strictement médicale. Plusieurs autres produits en développement me paraissent extrêmement prometteurs. Vous savez que nous avons un nouveau produit appelé Temusi®, dont les résultats des études de Phase III seront connus au deuxième semestre de cette année. C’est potentiellement l’une des toutes premières thérapies géniques à être mises sur le marché. L’indication pour cette molécule est l’ischémie des membres inférieurs. Nous disposons d’un médicament contre la sclérose en plaques, appelé tériflunomide, pour lequel des résultats de Phase III sont également attendus. Des données sur l’aflibercept pour le cancer colorectal devraient également nous parvenir au deuxième semestre 2010. Nous avons un nouveau GLP-1 appelé lixisenatide, pour lequel nous devrions recevoir bientôt de nouveaux résultats. De toute évidence, c’est en combinaison avec Lantus® que cette molécule semble véritablement prometteuse. Et nous serons probablement le tout premier groupe pharmaceutique à lancer une formule combinant vraiment une insuline à longue durée d’action et un GLP-1. Le portefeuille ophtalmologique se développe très favorablement et c’est, là aussi, une nouvelle division pour nous. Les attentes pour l’activité R&D de sanofi-aventis sont modérées, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Ce que j’entends également de la part de certains de nos investisseurs, c’est : « vous êtes en train de vous constituer un portefeuille R&D en catimini ». Et je suis ravi de voir les progrès que nous réalisons. Nous avons encore une longue route à parcourir. Nous avons consacré l’année dernière à élaguer notre portefeuille. Cette année, nous avons travaillé à le reconstruire. Nous avons une réputation et des partenariats de toute première qualité. Je suis très optimiste sur l’avenir de notre R&D.
EBM : Certains investisseurs s’inquiètent de voir la réforme des soins de santé aux États-Unis et la baisse des prix en Europe accroître la pression à la baisse des prix. Cette pression est-elle inhabituellement élevée aujourd’hui, et en avez-vous tenu compte dans vos objectifs ?
CV : Nous avons intégré à nos objectifs l’intégralité des effets de la réforme des soins de santé aux États-Unis et de ce qui se passe à ce jour en Europe. Au deuxième trimestre 2010, nous avons enregistré une charge au titre de la réforme des soins de santé aux États-Unis pour un montant de 68 millions de dollars. Je le répète, nous en avions tenu compte dans nos objectifs initiaux. Nous avions anticipé le vote de la réforme des soins de santé. Si cette réforme entraînera certainement un coût à court terme aux États-Unis, l’extension de la couverture santé est une initiative à laquelle le secteur a toujours été très favorable, et que je crois fondamentalement bonne pour le marché américain et donc pour l’ensemble du secteur. En Europe, les États ont été manifestement soumis à de fortes pressions. Nous tentons de les aider à trouver des économies, par exemple sur des molécules anciennes, de manière à continuer de récompenser l’innovation. Le coût attendu des baisses de prix en Europe pour l’exercice atteint environ 150 millions d’euros. Ce n’est pas vraiment sans précédent, et c’est certainement gérable dans notre situation financière actuelle.
EBM : En 2009, vous avez conclu des accords de fusion et d’acquisition pour un total de 6,7 milliards d’euros. Or depuis le début de cette année, les opérations que vous avez réalisées n’ont atteint que 2,3 milliards d’euros, et les médias ont récemment publié des rumeurs mentionnant votre intérêt pour le spécialiste américain des biotechnologies Genzyme. Sans vous lancer dans des commentaires sur ces rumeurs de marché, pourriez-vous nous rappeler votre stratégie actuelle en matière d’acquisitions ?
CV : Vous avez raison : nous n’émettons pas de commentaires sur des dossiers spécifiques. J’ai toutefois l’impression que nous avons exprimé avec beaucoup de clarté notre stratégie de fusions et d’acquisitions. Très clairement, l’une de nos trois priorités consiste à genérer de la croissance externe. Nous avons réalisé plus de 30 transactions l’année dernière dans des entreprises de taille petite à moyenne (à savoir entre 5 et 20 milliards de dollars de capitalisation boursière). Nous n’avons pas voulu suivre la voie des mégafusions, mais au contraire construire des plateformes de croissance durable. Nous avons procédé à des acquisitions dans le secteur de la Santé Grand Public, dans les marchés émergents, dans le secteur des vaccins. Et dans la plupart des cas, nous avons préféré ne pas utiliser nos capitaux pour des acquisitions mais conclure plutôt des partenariats et des collaborations. Je crois avoir été particulièrement cohérent sur ce point depuis 18 mois que j’assume le poste de DG du groupe, et je pense que cette cohérence restera visible dans la mise en œuvre de notre stratégie.
EBM : Chris Viehbacher, Directeur Général de sanofi-aventis, je vous remercie.
CV : Merci, Adrian.