EuroBusiness Media (EBM): Le groupe Michelin, premier fabricant au monde de pneumatiques, vient de publier ses résultats pour le premier semestre 2005. Michel Rollier, bonjour. Vous êtes Co-Gérant et Directeur Financier de Michelin. Quels sont vos commentaires sur les résultats du premier semestre?
Michel Rollier (MR) : Les principaux indicateurs de la performance de Michelin sont en hausse. Nous avons une marge opérationnelle à 9,2%, qui est en léger progrès sur l'année dernière et au-dessus du consensus. Notre résultat net progresse de 5,5% et nous avons très substantiellement amélioré ce que nous appelons le « prix-mix », ce qui nous a permis de compenser largement l'effet d'un recul de nos volumes d'un peu moins de 4%. Ceci a été fait dans un environnement qui a été disons contrasté, difficile, des marchés contrastés, et une forte hausse, même si elle était prévue, du prix des matières premières. Notre cash-flow reflète essentiellement des évènements, des phénomènes saisonniers qui ont été un peu plus prononcés cette année que l'année dernière : augmentation des stocks, dépenses faites au premier semestre au lieu d'être faites au deuxième semestre. Mais je voudrais aussi souligner la très forte progression d'un de nos segments, le troisième segment, nos activités de spécialité, qui ont vraiment connu une spectaculaire augmentation de leur marge opérationnelle, puisqu'ils passent de 2,6% à 9,2%. C'est vraiment une réalisation remarquable, que je tenais à souligner ce matin.
EBM : Quelles sont les principales tendances que vous observez sur les grandes zones géographiques?
MR : La situation était assez contrastée, à la fois entre les différentes zones, mais aussi entre les marchés de la première monte, et les marchés du remplacement. Si on prend les marchés du remplacement, l'Europe est clairement en recul, très fortement en recul, on a une chute brutale des marchés de poids lourds, quelque chose de vraiment historique. Pour le marché du tourisme, c'est quelque chose de plus modéré, mais néanmoins un recul. Au contraire, en Amérique du Nord, les marchés du remplacement ont globalement été positifs. Sur les marchés de la première monte, pour les marchés de véhicules légers, la situation est assez stable et un peu mixte, sur la partie poids lourds, globalement les marchés sont bons.
EBM : A partir de quel moment peut-on espérer retrouver de la visibilité sur le marché des pneumatiques ? Quand voyez-vous une inflexion de la tendance ?
MR : Ecoutez, je dirai d'abord que nous ne manquons pas de visibilité. Certes, les marchés ont été contrastés, mais, en gros, ils ont été en ligne avec ce que nous avions indiqué au début de l'année, à une exception près, les poids lourds remplacement en Europe. Mais pour le reste, nous n'avons pas vraiment été surpris par la situation, et je crois pouvoir dire que les marchés du tourisme vont continuer leur croissance normale de 2 à 3% par an. Le poids lourd est toujours plus cyclique, ça peut être de +4% à -4% ; vous voyez que le -8% est carrément décalé par rapport à une évolution normale.
EBM : Les analystes financiers s'inquiètent du marché du remplacement pour les poids lourds, qui est plus mauvais que prévu. Quels sont vos commentaires sur cette question ?
MR : Cette chute est brutale en Europe - elle est partout en Europe, dans tous les pays, et clairement, je dois vous dire que nous n'attendons pas sur le premier semestre de véritable reprise. Ce qui nous amène, peut-être avec une base de comparaison un peu meilleure sur le deuxième semestre, à prévoir pour l'ensemble de l'année des marchés poids lourds remplacement Europe un recul d'environ 3%, ce qui est donc en dessous de nos prévisions initiales.
EBM : Quels sont vos perspectives sur le prix des matières premières ? Quelle est votre capacité de résistance dans l'environnement actuel de prix élevés ?
MR : Les matières premières nous ont coûté plus de 250 million d'euros sur le premier semestre, ce qui est assez bien aussi en ligne avec ce que nous attendions, c'est-à-dire 13 à 14% d'augmentation. Elles devraient continuer à monter d'environ 8% sur le deuxième semestre, ce qui devrait mettre l'ensemble de l'année entre 14% et 15% par rapport à l'année dernière, ce qui est à peu près ce que nous avions prévu, nous étions un peu au dessus de 13%. Face à ça, bien sûr, nous améliorons nos coûts, notre productivité, mais, fondamentalement, nous allons continuer à répercuter au marché, à nos clients, l'impact de ces hausses. Nous l'avons fait depuis quelques années, nous l'avons fait au premier semestre. Globalement, nos hausses de prix ont tenu. Je dois dire qu'en Europe, sur certains segments, face à une compétition très agressive, nous avons eu quelques ajustements, mais globalement, nos hausses de prix tiennent.
EBM : Dans l'environnement de marché difficile auquel vous êtes confrontés, quel est votre capacité à faire passer des hausses de prix, comme vous avez toujours su le faire par le passé ?
MR : Ça demande bien sûr, d'abord d'avoir des marques fortes qui sont demandées par nos clients et c'est le cas chez Michelin, avec nos principales marques. Cela demande beaucoup de volonté, ça demande aussi du savoir-faire. Il faut savoir choisir le moment. Il faut savoir faire en sorte que la hausse soit acceptée par le client final, ça demande donc un certain tuning, mais fondamentalement c'est une question de détermination. Et puis n'oubliez pas aussi que l'ensemble de l'industrie pneumatique est confronté à ces hausses de matières premières.
EBM : Vous augmentez vos investissements de 20% sur l'année 2005. Sur quels postes allez-vous dépenser l'argent, et plus généralement, quelle est votre stratégie d'investissement pour l'avenir ? Où comptez-vous faire de nouveaux investissements ?
MR : Nous augmentons de 20% nos investissements, qui seront de l'ordre d'1,3 milliards en 2005, et probablement le même montant en 2006 et 2007. Les chiffres à fin juin sont bien en ligne avec notre cible 2005. Donc, nous investissons beaucoup parce que les marchés continuent à croître, parce que les marchés émergents ont des taux de croissance élevés et que sommes souspondérés sur ces marchés, donc il ne s'agit pas simplement de suivre la croissance de ces marchés, mais de gagner des parts de marché sur ces nouveaux marchés. Les investissements sont lourds dans l'industrie du pneumatique, qui est une industrie lourde. Nous sommes en train de développer de nouvelles capacités, à l'est, en Europe de l'Est, en Asie, en Amérique du Sud, mais nous devons en même temps continuer l'adaptation de nos capacités existantes, améliorer leur productivité, et aussi faire des dépenses de maintenance. Tout ceci donc, nous conduit à 1,3 milliards d'euros.
EBM : Vous vous développez activement en Chine et en Inde. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre stratégie dans ces pays ?
MR : L'Asie aujourd'hui est en train de devenir un marché du pneumatique considérable, qui représente environ 30% du marché mondial, contre 25% il y a trois ans. C'est 40% du marché du poids lourd. Evidemment, le poids de la Chine est considérable. Nous avons des activités importantes en Chine. En poids lourds, du fait de la radialisation qui est encore faible, nous avons une faible part de marché, mais une forte image. En tourisme, notre part de marché est d'ores et déjà entre 15% et 20%, et je crois pouvoir vous dire, que pour la marque Michelin, nous avons connu des progressions spectaculaires ces dernières années.
EBM : Et en ce qui concerne l'Inde ?
MR : L'Inde est un pays dont l'économie croît rapidement, mais dans la conversion entre de la technologie ancienne des pneus bias, et la technologie nouvelle des pneus radiaux, elle est moins avancée que les autres pays asiatiques. Nous avons de grandes ambitions dans ce pays, mais du fait de ce retard de conversion, il nous faudra plusieurs années avant de devenir vraiment un acteur important.
EBM : Enfin, quels sont vos perspectives, notamment de résultats financiers, pour l'année pleine ?
MR : Je vous ai décrit l'environnement qui nous attend : des matières premières qui continuent à monter, des marchés contrastés, mais un effet de base plus favorable, ce qui nous amène à prévoir une croissance modérée de nos volumes globalement pour l'année, et une amélioration de notre marge opérationnelle.
EBM : Michel Rollier, co-gérant et directeur financier de Michelin, je vous remercie.