EuroBusiness Media (EBM) : Le groupe Arcelor vient de publier ses résultats 2005. Guy Dollé bonjour, vous êtes le président de la direction générale du groupe Arcelor, quels sont vos commentaires sur la performance annuelle du groupe en 2005 ?
Guy Dolle (GD) : Ces résultats sont fantastiques mais, selon moi, non exceptionnels. Cela veut dire que nous serons capables, dans le futur, de reproduire ces résultats dans un périmètre qui sera amélioré. Ils sont fantastiques parce qu'ils sont réalisés dans un contexte difficile : une baisse importante des volumes sur le deuxième semestre, la baisse des prix spots, et l'augmentation des prix des matières premières. Mais finalement, grâce à notre efficacité, grâce à la fusion réussie, grâce à notre slogan « value (margin) before volume » nous avons été capables de maintenir nos profits à un très bon niveau, et je pense que c'est un gage de réussite pour le futur.
EBM : Pourriez-vous nous reconfirmer les hausses de prix des contrats annuels et pluri-annuels dans le secteur automobile ?
GD : En 2006 nous avions à peu près les deux tiers de nos contrats pluri-annuels qui venaient à échéance, avec trois de nos très grands clients fabriquants d'automobile. Nous les avons renouvelé avec une hausse importante et avec indexation sur l'évolution des prix des matières premières, indexation qui prendra effet à partir de l'année 2007.
EBM : Que pouvez-vous nous dire sur les discussions en cours concernant les hausses de prix du minerai de fer ?
GD : Je pense qu'il y a aujourd'hui un écart encore très importante entre ce que souhaitent les mineurs de fer et ce que sont prêts à accepter les sidérurgistes. J'ai le sentiment que les mineurs de fer utilisent beaucoup comme argument la demande de la Chine. Très clairement la Chine est aujourd'hui dans une position un peu particulière - c'est le plus grand consommateur de minerai de fer, et vous savez qu'à l'intérieur ils ont lancé une guerre des prix, donc ils ont besoin d'un baisse des prix de minerai de fer. Je considère pour ma part que c'est vraisemblablement les chinois qui fixeront le benchmark. Nous sommes toujours, pour notre part, dans nos hypothèses, sur une évolution plate par rapport à l'année 2005.
EBM : Quels sont vos commentaires en ce début d'année sur les mouvements d'importation et d'exportation en Europe ?
GD : Assez curieusement, les importations restent à un niveau assez réduit et avec des prix en forte hausse, ce qui fait qu'on est aujourd'hui dans un contexte, en Europe de l'Ouest en tout cas, assez favorable : des stocks bas, voire même très bas, et des besoins importants des clients. Donc, dans ces conditions une possibilité, de hausse de prix sur ce deuxième trimestre sera sûrement réalisée, ce qui permettra au premier semestre d'être plus favorable que ce d'aucuns pensaient il y a encore quelques semaines.
EBM : Quelles sont les dernières nouvelles en termes de fermetures programmées et, plus généralement, concernant les efforts de réduction des coûts ?
GD : Année après année, nous réduisons nos coûts, parce que sinon nous serions en difficulté. En quatre ans, en rythme annuel, nous avons réduit nos coûts de près de 1,9 milliards d'euros par an, dont 700 millions de synergies. Notre objectif dans les quatre années qui viennent, c'est d'accélérer un petit peu, c'est à dire de passer d'un rythme de 500 à presque 600 millions d'euros, avec un peu moins de synergies mais en réalisant, en particulier, toutes les opérations de restructuration que nous avions annoncées par anticipation dès l'année 2003 et qui se réaliseront progressivement d'ici l'année 2010.
EBM : Concernant Dofasco: quel est votre projet industriel ? Comment comptez-vous remonter la rentabilité de Dofasco ?
GD : Je pense qu'il faut analyser les résultats de Dofasco avec la perspective de ce qu'a été la situation en Amérique du Nord sur le deuxième semestre de l'année dernière. Il faut se souvenir que Dofasco a été au cours de cette dernière décennie la vedette - la star même - des performances financières en Amérique du Nord. Dofasco est pour nous important, d'abord parce que nous sommes partenaires depuis presque une décennie : nous sommes co-actionnaires d'une filiale, Hamilton, qui produit des produits haut de gamme pour l'automobile. Très clairement, l'opération Dofasco va nous permettre de passer d'une part de marché automobile en Amérique du Nord de 1 à 10%, ce qui est très important dans la perspective du marché américain. Par ailleurs, nous avons identifié beaucoup de synergies, y compris à travers nos filiales brésiliennes, et je pense que nous allons pouvoir les mobiliser très rapidement, et que ceci permettra de convaincre le marché de la pertinence et de la capacité à créer de la valeur à partir de cette acquisition, dont je rappelle que dans la situation actuelle du prix du minerai elle apporte beaucoup de résultats, à travers le contrôle du mineur QCM.
EBM : Avez-vous finalement l'intention de garder ou de céder les mines de Dofasco ?
GD : Pour le moment la décision n'est pas prise de les céder. Nous avons au contraire indiqué qu'avec le prix minerai de fer d'aujourd'hui, cela nous permettait de faire une sorte de hedging sur notre minerai de fer, et donc notre intention est plutôt, en tout cas pour les prochains trimestres, de conserver QCM à l'intérieur du périmètre de Dofasco.
EBM : On en arrive à la question du jour, puisque le marché attend vos commentaires sur l'offre de Mittal. Arcelor a déjà refusé l'offre de Mittal, mais quel projet industriel alternatif proposez-vous qui puisse créer plus de valeur pour l'actionnaire, par rapport à la valorisation d'Arcelor implicite dans l'offre de Mittal (environ 30 euros par action) ?
GD : Je dirais que la première référence c'est de comparer les résultats de l'année 2005 de Mittal Steel avec ceux d'Arcelor, et surtout l'évolution entre 2004 et 2005. Ceci confirme ce que j'ai de nombreuses fois été amené à présenter, à savoir : que notre modèle était un modèle qui crée plus de valeur pour nos actionnaires que celui de Mittal Steel, un modèle « en fin de vie ». Donc très clairement, notre objectif est maintenant, dans les jours qui viennent (cela va prendre peut-être 7-8 jours), d'aller voir nos actionnaires et de leur expliquer ce que nous allons faire chez Arcelor, et comment nous allons continuer à créer de la valeur et permettre à nos actionnaires de participer au progrès et à la croissance d'Arcelor.
EBM : Selon les investisseurs, vous vous devez de considérer toutes les options pour l'avenir de la société, y compris éventuellement une fusion avec Mittal. Avez-vous l'intention au moins de faire une réunion avec Mittal pour discuter de l'offre qui est sur la table aujourd'hui? Et si non, pourquoi?
GD : J'ai le sentiment que si M. Mittal souhaitait discuter, il s'y serait pris autrement. Je rappelle simplement que nous avons passé près de six heures ensemble il y a une dizaine de jours au comité de l'IISI à Paris que je présidais, et nous avons eu l'occasion de dialoguer sur les problèmes de l'IISI. Il n'a jamais cherché à évoquer avec moi ce sujet d'OPE.
EBM : Quelles assurances pouvez-vous d'ores et déjà donner au marché que vous n'allez pas détruire de la valeur pour l'actionnaire en surpayant des actifs, dans un but de vous protéger contre l'OPA hostile de Mittal ? (Nous faisons référence ici aux rumeurs d'acquisition qui courent actuellement dans le marché, concernant telle ou telle acquisition potentielle.)
GD : D'abord, j'ai découvert chaque jour depuis une semaine de nouvelles acquisitions potentielles. Je dois dire que je n'avais pensé à aucune de celles-là. Je ne sais pas si cela va continuer, mais je crois qu'il faut raison garder. Le meilleur témoignage de notre professionnalisme, c'est ce que le management à réalisé pour les actionnaires en création de valeur depuis la fusion d'Arcelor. Pourquoi serions nous amené à détruire cette image, et à détruire cette valeur simplement sur le prétexte de se protéger. Très clairement nous avons, et avions déjà depuis longtemps, des discussions avec des partenaires potentiels, discussions que nous poursuivons. Mais bien évidemment, s'il n'y avait pas de projet industriel crédible, s'il n'était pas possible de démontrer à nos actionnaires que cela permettra dans le futur de créer de la valeur, nous ne ferions pas de tels projets. J'ai déjà pris cet engagement en tête-à-tête lorsque j'ai vu les actionnaires. Je peux le renouveler. Ils nous font confiance sur ce sujet.
EBM : Y a-t-il ou non une 'poison pill' chez Arcelor qui permettrait de bloquer la fusion avec Mittal?
GD : Le plus grande 'poison pill' pour les actionnaires d'Arcelor c'est l'OPE de Mittal Steel, parce qu'aujourd'hui cela amènerait certainement, en utilisant le cash d'Arcelor, à détruire de la valeur massivement, compte tenu de la proposition pour les actionnaires d'Arcelor.
EBM En conclusion, rendez-vous avec les investisseurs prochainement pour présenter votre projet industriel face à Mittal?
GD : Avec mes collègues de la direction générale, nous allons commencer, je pense à partir du 28 février, des road-shows, d'abord en Europe et puis ensuite en Amérique du Nord, pour aller présenter à nos actionnaires ce qu'est l'histoire future d'Arcelor, et de leur démontrer combien ce futur sera plus brillant, y compris pour eux, en valeur pour l'actionnaire, qu'avec Mittal Steel.
EBM : Guy Dollé, je vous remercie.
GD : Merci.