EuroBusiness Media (EBM) : Le Groupe Wendel Investissement, l'un des leaders européen du Private Equity vient de publier ses résultats pour l'année 2006, Jean-Bernard Lafonta, bonjour, vous êtes le Président du Directoire de Wendel Investissement. En bref, quel sont vos commentaires sur les résultats 2006 et sur les performances de vos principales participations : Bureau Veritas, Legrand, Editis, Materis et Deutsch ?
Jean-Bernard Lafonta (JBL) : Ce sont des résultats en progression de 23% sur l'année précédente et donc qui sont extrêmement satisfaisants et d'autant plus satisfaisants qu'ils sont en progression du même ordre de grandeur depuis maintenant 4 à 5 ans. Toutes nos sociétés et toutes nos filiales ont plutôt bien contribué à cette progression, qui résulte à la fois d'une croissance organique et externe soutenues de ces sociétés, mais aussi d'une amélioration de leur profitabilité; donc nous sommes sur des croissances qui se continuent et qui sont saines, et qui expliquent l'importance du développement de Wendel.
EBM : Avant d'entrer dans le détail de vos participations, il est à noter que Wendel Investissement est pratiquement la seule société de private equity à avoir choisir de leverager non seulement ses participations mais aussi la holding de tête. Pour les investisseurs qui nous écoutent aujourd'hui, comment décririez-vous votre société par rapport aux autres sociétés de private equity, qui sont pour la plupart anglo-saxonnes ?
JBL : Je pense que nous sommes effectivement assez unique à utiliser et à avoir accès au marché obligataire en tant que société d'investissement. Nous avons accès à des ressources financières longues, plus de 10 ans, dans des conditions de taux d'intérêt qui sont plutôt aujourd'hui de bon niveau, et donc qui créent beaucoup de valeurs pour nos actionnaires dans la durée. Mais j'ajouterai qu'au delà de ces aspects financiers, le fait d'avoir un niveau de levier dans Wendel-même a un objectif stratégique, qui est de permettre de déconnecter les décisions d'acquisitions des décisions de cessions, qui est une difficulté traditionnelle des holdings financières que nous avons résolue en ayant ce niveau de levier limité, puisque nous sommes avec un rating Standard&Poors de BBB+. Donc ça nous parait être un avantage non seulement financier mais également compétitif important pour une société comme Wendel, et nous sommes heureux d'être assez unique à cet égard.
EBM : Bien que vos participations aient des activités à l'international, vous êtes encore perçu comme un acteur franco-français, agissant principalement en France. Avez-vous dans un proche avenir l'ambition de faire de Wendel Investissement un acteur véritablement global ?
JBL : Nous avons fait 3 acquisitions sur 4 l'année dernière en dehors de France, une aux EU et 2 aux Pays Bas, donc nous sommes déjà devenus international, et nous avons démontré notre capacité à exporter notre modèle Wendel, et à faire la différence dans des pays, y compris dans des pays Anglo-saxons et de culture Anglo-saxonne. Donc finalement le modèle long terme que nous avons, qui s'appuie sur de la création de valeur de type industriel, et au travers du développement dans les sociétés dans lesquelles nous sommes, a démontré sa capacité d'attraction nous seulement en France mais aussi à l'international. Et nous avons l'intention de le développer, non pas à marche forcée mais en prenant notre temps, parce que l'objectif premier est d'aller chercher des opportunités attractives et davantage d'opportunités attractives, pour garder le niveau de sélectivité que nous avons dans les acquisitions que nous faisons.
EBM : Quelle est votre ambition pour la taille de Wendel Investissement à horizon 4 - 5 ans ? Par ailleurs, envisagerez-vous de prendre des participations minoritaires dans des sociétés cotées ?
JBL : Nous avons pour mission de doubler la taille de Wendel à l'horizon des 5 prochaines années, ce qui est une performance importante et nous ne faisons pas de différence entre investir dans des sociétés cotées ou investir dans des sociétés non-cotées. Nous sommes d'ailleurs aujourd'hui dans Legrand dont nous détenons 30% du capital que nous contrôlons avec 30% du capital, et qui de notre point de vue a un potentiel intact bien qu'elle soit cotée et son potentiel n'a été en rien affecté, bien au contraire et heureusement, par l'introduction dans le marché public. Legrand a toujours le même potentiel une fois coté, qu'avant sa cotation.
EBM : Quelle est aujourd'hui votre stratégie d'acquisition ; quel est le profil, la localisation géographique, et la taille des cibles que vous visez ? Et par la même occasion, pourriez-vous nous repréciser votre force de frappe financière aujourd'hui pour réaliser de nouvelles acquisitions ?
JBL : Nous avons la capacité d'investir aujourd'hui, à tout moment, 1 milliard d'euros en fonds propres, c'est le niveau de notre trésorerie mobilisable et nous nous intéressons à des sociétés d'une certaine taille, parce que nous ne voulons pas nous disperser en terme de suivi d'activité, c'est cohérent avec notre modèle de développement qui est de nous concentrer sur peu d'opportunités et de créer beaucoup de valeur au travers de ces opportunités. Donc nous cherchons plutôt des sociétés dont la valeur d'entreprise est supérieure à 1 milliard d'euros, nous n'avons pas d'a priori sectoriel, ce qui nous intéresse ce sont les sociétés qui offrent un potentiel de développement et que nous pouvons amplifier en tant qu'actionnaire de long terme.
EBM : Etes-vous inquiet par la forte augmentation du leverage des sociétés de LBO en général, et de la concurrence accrue sur les dossiers, qui conduit à une hausse du prix des actifs et donc à une baisse corrélative du niveau de rendements attendu ?
JBL : Je pense que la hausse d'endettement financier concerne en particulier certains types d'acquisitions, sur lesquelles d'ailleurs nous ne sommes pas allés. Je prends pour exemple la Saur ou TDF ou Les Pages Jaunes, où les niveaux d'endettement sont très élevés et nous pensons que le risque qui y est associé est du coup un risque qui ne nous intéresse pas parce que c'est principalement un risque de taux. Nous ce qui nous intéresse ce sont les risques de nature industrielle, et sur des projets au sens industriel large du terme. On peut très bien aller dans les services, mais ce qui nous intéresse c'est la nature du projet de développement de la société dans laquelle nous investissons. Le fait de mettre de la dette est un élément secondaire, ce n'est pas notre priorité, et nous pensons que dans ce type de sociétés qui offrent des profils de croissance il reste encore beaucoup de potentiel et beaucoup d'opportunités, et donc nous ne pensons pas être particulièrement concernés par cette question que vous soulevez à juste titre.
EBM : Venons-en maintenant à Bureau Veritas, l'une de vos principales participations, qui fait partie de votre portefeuille depuis longtemps. Il semblerait que Bureau Veritas ait plus de mal à procéder à des acquisitions que par le passé ; on a parlé d'une fusion avec SGS, puis d'une introduction en bourse. Quel est la prochaine étape de votre stratégie pour Bureau Veritas ?
JBL : Le rythme d'acquisition par Bureau Veritas est toujours très élevé, il était de 250 millions d'euros au cours des 2 dernières années: c'est au dessus des objectifs que l'on avait, qui étaient des objectifs qu'on affichait au marché qui étaient de 100 millions d'euros par an d'acquisition. Donc on n'a pas de difficultés particulières à réaliser le business modèle de Bureau Veritas, qui a d'ailleurs généré, sur les 15 dernières années, une croissance du chiffre d'affaires chaque année d'environ 15% par an, ce qui est considérable. Croissance rentable, puisque nous avons dans le même temps augmenté régulièrement la marge opérationnelle. Alors les projets évoqués sur SGS n'ont jamais été évoqués par nous et correspondent à des rumeurs, des commentaires ou autres, parfois alimentés par SGS-même, mais qui ne correspondent absolument à aucune réalité, et je l'ai déjà dit. Pour ce qui concerne un projet éventuel d'introduction en bourse de Bureau Veritas, nous y réfléchirons avec probablement le souci, pour un groupe qui aujourd'hui fait 30000 personnes dans 160 pays, d'amplifier sa notoriété pour être capable de procéder qu'ils ont besoin de réaliser chaque année, à hauteur de 4000 personnes par an, c'est considérable. Et probablement que l'introduction en bourse fait du sens à cet égard. Alors on va réfléchir à l'ensemble des conséquences, au cours des mois qui viennent, et naturellement si on venait à la conclusion qu'une introduction en bourse ait du sens, nous conserverions le contrôle de Bureau Veritas parce que c'est un groupe dans lequel nous croyons énormément aujourd'hui, comme demain.
EBM : La société Legrand, autre participation majeure de votre portefeuille, répond-elle encore à votre critère de 15% de rendement interne, et quels sont vos projets concernant cette participation ?
JBL : Legrand conserve totalement son potentiel, d'ailleurs les résultats de l'année 2006, comme ce que nous voyons aujourd'hui pour le début de l'année 2007, nous rendent complètement confiants de notre analyse, et donc nous n'avons pas changé de sentiment à l'égard de notre participation dans Legrand. Nous restons investis dans la durée, dans cette très belle société.
EBM : On a vu pour la première fois Editis envisager de procéder à des acquisitions hors de France. Quelle est votre stratégie pour Editis ? L'avenir est-il à l'international ?
JBL : Editis a réussi en 2 ans un parcours remarquable parce que d'un groupe qui résultait d'un découpage d'un groupe d'édition majeur issu de Vivendi, la première étape était de le remettre d'aplomb, ce que nous avons fait au cours des 2 dernières années, à la fois en favorisant la croissance organique mais également la croissance externe, et Editis a fait un certain nombre d'acquisitions en France qui lui ont redonné une stabilité de groupe. Au total on a amélioré de 35% les résultats opérationnels d'Editis en 2 ans, c'est considérable dans un marché où il n'y a pas particulièrement de croissance. Editis a commencé à regarder effectivement les acquisitions en dehors de France, en a réalisé une dans les marchés belges et néerlandais, puisqu'elle a fait l'acquisition du numéro un dans le marché belge du livre scolaire qui est De Boeck, le groupe De Boeck. C'est une très très belle acquisition. Elle fait beaucoup de sens par rapport aux positions qu'Editis peut avoir aujourd'hui en Belgique, et c'est cela qui nous a intéressé également. De plus, il y a des synergies dans le domaine de l'éducation lié à Internet, et à l'utilisation d'Internet entre la France et la Belgique. Donc, nous cherchons typiquement des acquisitions très ciblées qui font du sens par rapport au projet de développement d'Editis. Nous continuerons à le faire en France comme à l'International.
EBM : En ce qui concerne Deutsch, que vous avez récemment acquis, où en êtes-vous de la restructuration en cours ?
JBL: En ce qui concerne Deutsch, on a installé et créé un siège social puisque le groupe n'existait pas à New York. On a mis en place une équipe de direction avec naturellement un PDG, mais également deux DG en charge des métiers mondiaux que sont l'aéronautique et les moyens de transport lourds. Nous avons maintenant des équipes qui fonctionnent et les 2 premiers objectifs sur lesquels nous allons travailler et sur lesquels des plans d'action sont en cours de préparation sont dans les domaines des achats et des synergies commerciales. Il y a des synergies commerciales qu'on peut aller chercher entre l'Europe et les USA. Pour donner un exemple, Deutsch sert un client comme Airbus en Europe mais ne sert pas Boeing, alors que c'est un groupe américain Deutsch. Ca fait partie des choses évidentes sur lesquelles nous avons commencé à travailler et dont nous pensons qu'elles commenceront à donner des résultats en 2007.
EBM : Votre acquisition de Materis représentait la 3ème LBO dans l'histoire de cette société. Certains analystes sont sceptiques sur le prix payé et sur les perspectives d'amélioration des marge , compte tenu de tous les efforts de réduction des coût déjà opérés par les précédents propriétaires LBO de Materis. Quelle sont les perspectives de création de valeur actionnariale que l'on peut encore attendre chez Materis ?
JBL : Je crois que Materis est un exemple intéressant parce que c'est effectivement un groupe qui a changé 3 fois d'actionnaires en 5 ans, et qui a des potentiels de développement importants par croissance externe, notamment dans le domaine de la peinture. Et le management de Materis, très conscient de ces potentiels et de la difficulté à les réaliser avec un actionnaire changeant tous les 2 ans, a vraiment fait beaucoup pour qu'aujourd'hui Wendel devienne son actionnaire et inscrire son développement dans la durée. Nous nous pensons qu'il y a beaucoup de création de valeur qui est possible au travers de cette croissance externe qui est faite à des conditions multiples extrêmement raisonnables, et qui créent des synergies industrielles importantes. Donc c'est ça qui nous a intéressé dans Materis et qui explique pourquoi nous en sommes devenus l'actionnaire de contrôle.
EBM : Jean-Bernard Lafonta, Président du Groupe Wendel Investissement, merci beaucoup.
JBL : Merci.