EuroBusiness Media (EBM) : Pourquoi intégrer le changement climatique dans une stratégie d’investissement ? C’est ce que nous allons dès à présent avec vous : Carlos Joly. Bonjour. Vous êtes président du comité scientifique Climate Change de Natixis Asset Management. Où en sommes-nous aujourd'hui sur le changement climatique ?
CJ : Regardons, pour commencer, les faits et leur traduction concrète.
Les faits : nous émettons trop de gaz à effet de serre, un chiffre qui a explosé depuis la révolution industrielle. Cela nous concerne tous : entreprises, gouvernements, particuliers, ménages… Nous devons réduire ces émissions de moitié d’ici à 2050. Pourquoi ? Parce que si les gaz à effet de serre atteignent les 500 parts par million, nous atteignons le seuil critique. Or, nous en sommes déjà à 430 parts par million. Au rythme actuel de + 2,5 parts par million par an, nous atteindrons cette limite dans à peine 40 ans. Nous devons donc agir dès à présent. Le cas échéant, les conséquences seraient d’une gravité encore plus importante que celle déjà constatée aujourd’hui, notamment à travers les événements climatiques extrêmes : tsunamis, vagues de froid, sécheresses, orages ou encore les ouragans. Tous ont des impacts notables sur les zones urbaines, agricoles, le réseau de transports… bref, l’économie dans son ensemble.
EBM : Concrètement, que pouvons-nous réellement faire sur le changement climatique ?
CJ : Beaucoup. Pour commencer, il faut prendre conscience qu’aucun d’entre nous n’est à l’abri des conséquences du changement climatique. Peu importe où nous vivons, peu importe ce que nous faisons. Une fois que nous avons pleinement intégré cette idée, regardons quelles responsabilités incombent à chacun d’entre nous. Les gouvernements doivent donner le ton à travers la réglementation et les lois afin d’éviter l’utilisation massive de pétrole et charbon comme sources d’énergie. Il faut encourager les énergies alternatives et, plus particulièrement, l’efficience énergétique. Les entreprises et consommateurs doivent jouer un rôle de précurseur sur la question de l’efficience énergétique. Cela signifie produire des biens et services plus efficients en matière de consommation d’énergie et qui permettent non seulement de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de s’adapter aux conséquences du changement climatique. Qu’entend-on par là ? Il faut favoriser les transports collectifs aux transports individuels comme la voiture. Nous voulons moins de voitures, moins de camions, plus de bus, plus de train et plus de bateaux cargos. Dans le domaine du bâtiment, il faut privilégier les constructions "vertes". Cela concerne les entreprises et fournisseurs de matériaux de constructions, tout comme les entrepreneurs et les compagnies d’assurances. Nous devons également réfléchir à une meilleure gestion des ressources naturelles, pétrole et eau en particulier. Des mesures de conservation doivent être prises dans ce domaine. Un chiffre à titre d’exemple : imaginez que 30 % des volumes d’eau sont perdus uniquement dans le circuit de distribution, en raison d’infrastructures obsolètes. Changer les circuits d’adduction d’eau et les systèmes de compteurs contribuerait concrètement à l’efficience énergétique.
EBM : Quel rôle pour les investisseurs dans le domaine du changement climatique ?
CJ : Les investisseurs ont un rôle important à jouer. Il faut réfléchir à la manière dont le capital opère dans l’économie. Si nous ne faisons pas notre travail correctement afin d’orienter le capital vers des usages plus durables, nous sommes sur la mauvaise voie. Quelles opportunités ? Trois problèmes majeurs nécessitent aujourd’hui des solutions fortes. Il faut : réduire les émissions de gaz à effet de serre, s’adapter aux conséquences inévitables du changement climatique, et mieux gérer les ressources naturelles, en particulier le pétrole et l’eau. Pour chacun de ces domaines, il existe des secteurs porteurs d’opportunités. Chacun d’entre eux représente une opportunité d’investissement. En considérant chaque problème et chaque solution, il est possible d’identifier les opportunités d’investissement et les solutions qu’ils fournissent. Cela constitue une bonne base pour construire un portefeuille diversifié, tant en termes de secteurs que de pays, incluant la zone émergente.
EBM : Quel apport du Comité Scientifique pour Natixis Asset Management ? Quelles interactions scientifiques/gérants de portefeuille ?
CJ : Nous avons là un véritable défi. Scientifiques et gérants de portefeuilles ont des cultures et activités très différentes dans des domaines particuliers. Les scientifiques affectionnent les questions théoriques. Une question mène à une autre, puis une autre et il n’est pas rare qu’un scientifique vous donne des réponses croustillantes à une question posée. Les gérants de portefeuille, a contrario, doivent simplifier les choses et les flux d’informations en une décision binaire : acheter ou vendre. C’est un défi de faire se rencontrer ces deux mondes mais aussi un énorme avantage en termes de prises de décision d’investissement quand cela fonctionne. Natixis Asset Management a décidé de relever le challenge en constituant le Comité Scientifique Climate Change. Ce comité est en effet composé de scientifiques issus d’horizons variés : énergie et transports, adaptation, industrie… Son rôle ? Préciser et définir la teneur de chacun des thèmes d’investissement retenus en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre (quelles sont les meilleures pistes ? Comment les mettre en œuvre ? ). La même démarche est adoptée sur la question de l’adaptation et de la gestion des ressources naturelles. Un exemple de question abordée dans le cadre du Comité Scientifique : “comment faire le choix d’une agriculture durable”? Quels types de fertilisants s’inscrivent dans cette logique ? Certains le font, d’autres pas. Certaines manières de les utiliser sont durables, d’autres pas. Il n’y a pas de réponse unique à chaque question puisqu’il existe plusieurs solutions. La seule question est : quelles sont les meilleures solutions ? Nous avons eu la même réflexion sur la thématique du transport, notamment sur les transports maritimes. S’agit-il seulement d’entasser des matières premières en masse dans un cargo et les envoyer en mer ? Ou faut-il également s’intéresser au design de la coque ? au type de peinture utilisée pour réduire la résistance à l’eau ? à la vitesse optimale pour réduire la consommation de carburant ? Autant d’éléments qui constituent des questions-clés auxquelles le Comité Scientifique cherche à apporter son éclairage afin d’appuyer les gérants de portefeuille de Natixis Asset Management. De mon point de vue de président du Comité Scientifique, ces interactions et échanges sont réellement stimulants et bénéficient aux deux parties prenantes.
EBM : Carlos Joly, je vous remercie.
CJ : Merci.