EuroBusiness Media (EBM) : Augustin de Romanet, bonjour. Vous êtes le Président Directeur Général du Groupe Aéroports de Paris qui gère les aéroports parisiens de Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly où vous nous recevez aujourd’hui quasiment en bord de piste, Paris-Le Bourget, ainsi que plusieurs aérodromes en région parisienne et vous possédez aussi des participations dans plusieurs aéroports à travers le monde.
Vous publiez aujourd’hui le communiqué de presse présentant le plan stratégique pour la période 2016-2020 intitulé "Connect 2020", un plan que vous détaillerez demain en session plénière devant la communauté économique et financière. Est-ce que vous pouvez nous en présenter aujourd’hui les grandes lignes ?
Augustin de Romanet : "Connect 2020" c’est le nom de notre plan stratégique au service d’une ambition : devenir un leader de la conception, la construction et l’exploitation d’aéroports. Il s’agit pour nous de réaliser la création de richesse permise par la mise en relation entre les femmes les hommes qui, vous le savez, est le moteur de toute la croissance depuis que le monde est monde.
Et pour réaliser cette création de richesses, nous avons 3 maîtres mots. Le premier c’est : optimiser. Optimiser, c’est-à-dire être les plus performants possibles au moindre coût possible pour nos clients. Nous sommes en compétition. Il s’agit donc d’acquérir la meilleure discipline financière possible, à la fois dans nos coûts et dans nos choix d’investissements. Nous sommes attentifs à n’investir qu’à bon escient, et donc plutôt que de construire des nouveaux terminaux, nous optimisons la structure de nos terminaux actuels, notamment en réalisant des fusions de satellites ou des jonctions de terminaux.
Deuxièmement : attirer. Il s’agit pour nous d’avoir le maximum de clients compagnies aériennes et le maximum de clients passagers. Pour ce faire, nous devons aller chercher, être proactifs, pour être toujours mieux choisis par nos clients. Il s’agit aussi d’attirer les meilleurs collaborateurs. Vous le savez, une entreprise ne peut pas être performante si elle n’a pas des femmes et des hommes motivés et du meilleur niveau.
Ensuite, élargir. Cette croissance que nous allons créer, elle doit à la fois profiter à tout le monde et elle doit aussi être accélérée par une ambition internationale. Donc, l’élargissement c’est deux choses. D’abord, faire profiter les territoires autour desquels nous exerçons nos activités, de notre création de richesse par des créations d’emplois, et une responsabilité sociale et environnementale qui nous rende très attentifs à notre acclimatation auprès de nos territoires.
Deuxièmement, la projection à l’étranger de nos forces, parce-que la croissance du trafic aérien dans le monde est tellement considérable - vous savez qu’elle va être à peu près de deux fois le PIB mondial - qu’il nous appartient à nous, Aéroports de Paris, d’aller saisir cette croissance partout dans le monde.
EBM : Vous venez de signer un Contrat de Régulation Economique. Comment votre plan stratégique s’articule-t-il avec ce contrat avec l’Etat ?
Augustin de Romanet : Nous venons effectivement de signer un Contrat de Régulation Economique pour cinq ans avec l’Etat, qui est la base de la stratégie industrielle de ce plan stratégique. Il demeure que "Connect 2020" inclut également la dimension des commerces, la dimension de l’immobilier et la dimension de l'international qui sont également des moteurs de croissance pour Aéroports de Paris.
Donc s’agissant des activités régulées, notre ambition est d’abord d’améliorer la performance du Hub de Paris-Charles de Gaulle, et pour ce faire nous avons modifié la structure des tarifs afin de rééquilibrer la charge pour les compagnies aériennes, de façon à ce que les vols long-courriers soient plus compétitifs. Jusqu’à présent, nous avions une pénalisation des vols long-courriers que nous allons faire disparaître.
Deuxièmement, nous encourageons les compagnies performantes. Vous le savez, une compagnie qui a des rotations rapides, une compagnie qui choisit de baser ses avions dans nos aéroports, et qui donc peut partir très tôt le matin et arriver très tôt le soir avec plus de vols, ces compagnies vont être favorisées. Nous allons également optimiser le Hub de Paris-Charles de Gaulle en réalisant, comme je vous l’ai dit, des investissements de fusion de satellites et de fusions de terminaux.
Et enfin, last but not least, l’aspect essentiel de la qualité de services. Nous nous donnons dans ce plan "Connect 2020" des objectifs très ambitieux de qualité de service, pour rejoindre le peloton de tête des Hubs européens.
EBM : Vous présentez également les objectifs financiers 2020, est-ce que vous pouvez nous les commenter ?
Augustin de Romanet : Oui. Alors, ces objectifs financiers 2020 se fondent sur deux objectifs. Le premier, c’est d’assurer la convergence entre le rendement des capitaux engagés dans le secteur régulé et le coût moyen du capital, et le deuxième c’est d’extraire le maximum de richesses de nos activités non régulées.
D’abord donc, la convergence du ROCE et du WACC. Notre coût moyen pondéré du capital est estimé à 5,4%, et notre objectif est d’avoir un rendement des capitaux engagés sur le régulé qui atteigne 5,4% à la fin de la période. S’agissant du chiffre d’affaires par passager en zone réservée, nous ambitionnons qu’il atteigne 23 euros en effet année pleine, après la livraison de tous les équipements qui doivent entrer en service en 2020.
S’agissant de l’immobilier, nous ambitionnons une croissance des loyers externes de 10 à 15%, au-delà de tous les investissements qui produiront des effets pour le futur.
Et enfin, je souhaite que l’international devienne, dans un développement maîtrisé, le troisième métier du Groupe.
Ainsi, sous des hypothèses de croissance du trafic passager d’environ 2,5% par an, nous devrions pouvoir obtenir un EBITDA en croissance de 30 à 40% entre 2020 et 2014. Nous devrions continuer à avoir un taux de distribution de nos résultats de 60%, et tout ceci sera soutenu par un effort d’investissement sur le régulé ainsi que sur les commerces et l’immobilier de 4,6 Milliard d’Euros dans la période.
EBM : Concernant les commerces, vous avez connu ces dernières années une forte croissance de votre principal indicateur, le chiffre d’affaires par passager. Est-ce qu’il y a toujours un potentiel de croissance sur vos activités commerciales ?
Augustin de Romanet : oui, il y a toujours un gros potentiel de croissance sur nos activités commerciales. Vous le savez, Aéroports de Paris c’est une success story pour les commerces. Lorsque nous avons été introduits en bourse en 2006, la dépense moyenne par passager en zone réservée était de 9,8 euros et aujourd’hui, ou plutôt en 2014, elle a atteint 18,3 euros.
Donc nous comptons capitaliser sur 3 volets. Le premier c’est continuer à développer ce concept d’ultime expérience du passager en améliorant l’offre, en développant les surfaces et en sélectionnant les produits que nous vendons sur chaque faisceau de transport. Deuxièmement, en développant la notoriété des commerces d’Aéroports de Paris en amont des vols, c’est-à-dire en allant chercher les clients dans leur zone de départ. Et enfin, en continuant à perfectionner notre mode de gestion, notamment en développant les joint-ventures qui nous permettent de mieux maîtriser le management, et donc de mieux maîtriser la qualité de service. Nous l’avons déjà fait sur les librairies avec Relay@ADP, sur la publicité avec JC Decaux. Nous allons le faire avec SSP sur les bars et restaurants, et c’est un modèle qui va continuer à porter ses fruits.
EBM : Parlons de l’immobilier chez Aéroports de Paris. Quel est votre plan d’action pour développer cette activité qui, pourtant, risque de souffrir dans la conjoncture actuelle ?
Augustin de Romanet : L’immobilier est un levier de croissance à moyen et long terme pour Aéroports de Paris, ce particulièrement dans la perspective de l’offre de transports en commun remarquable qui va arriver juste après ce plan "Connect 2020" mais qu’il faut préparer. Notamment les lignes du Grand Paris, la ligne 17, qui va arriver à Roissy-Charles de Gaulle, la ligne 14 qui va arriver à Paris-Orly, et, naturellement, le CDG Express.
Mais dès à présent, l’immobilier vous le savez, a été dans le passé le levier de croissance pour Aéroports de Paris. Nous venons de multiplier par deux l’offre hôtelière, nous posons les bases de la ville aéroportuaire, et dans ce plan, dans ces cinq années, nous allons d’une part rajeunir le parc, et d’autre part développer l’offre, notamment en matière de cargos.
Il s’agit pour nous de rajeunir les installations qui, pour certaines d’entre elles, dates des années 1950, et nous escomptons une croissance des loyers externes entre 10 et 15% sur la période.
EBM : Aéroports de Paris est présent à l’international, notamment à travers ses filiales d’ingénierie et de management, et également à travers sa participation en gestionnaire aéroportuaire turc, TAV Airports. Pourriez-vous nous détailler votre plan de développement à l’international et vos potentielles cibles ?
Augustin de Romanet : Oui. Alors, la base du développement d’Aéroports de Paris c’est d’abord Paris. Notre ambition, c’est d’améliorer autant que possible la qualité de service dans nos aéroports parisiens pour être un démonstrateur auprès de l’ensemble des acteurs mondiaux.
Alors effectivement, Aéroports de Paris est présent sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Le design avec ADPI, la construction avec TAV Construction, et l’exploitation des aéroports. Nous sommes également investisseurs en fonds propres dans des concessions, comme par exemple nous venons de le faire à Santiago du Chili.
Donc quelle est notre ambition ? Notre ambition est d’exporter le savoir-faire des ingénieurs français, et d’exporter des capitaux français, dans les meilleures conditions de contrôle des risques. Vous le savez, aller à l’international peut être le meilleur moyen de perdre beaucoup d’argent. Nous y allons avec une discipline qui repose sur le fait que 4 critères doivent être remplis pour notre développement international.
D’abord, la complexité. Nous allons d’abord et avant tout dans des projets dans lesquels nous pouvons leverager l’ensemble de nos talents d’ingénieurs, d’architectes, et d’exploitants. Ensuite, la croissance. Nous allons dans des marchés qui croissent au minimum deux fois plus vite que Paris. Troisièmement, le contrôle. Il s’agit pour nous d’avoir un contrôle de nos opérations pour ne pas utiliser le temps du management à mauvais escient. Et enfin la rentabilité, qui doit être supérieure à celle de nos activités parisiennes.
Mon ambition est que le métier international devienne progressivement le troisième métier d’Aéroports de Paris. Mais pour ce faire, il faut développer la discipline et développer la qualité des ressources humaines. C’est ce à quoi nous nous employons aujourd’hui, à structurer un cadre de collaboratrices et de collaborateurs qui permettront à Aéroports de Paris d’atteindre toutes ses ambitions internationales. Mais, comme le disent très bien nos amis italiens, « chi va piano, va sano ».
EBM : Vous parlez justement de vos salariés. Quels seront les changements pour eux ?
Augustin de Romanet : Alors, "Connect 2020" c’est un plan stratégique, c’est aussi un projet d’entreprise qui, naturellement, inclut le développement des salariés. Vous savez, une entreprise c’est d’abord et avant tout la conjonction du travail de femmes et d’hommes qui sont mobilisés pour un projet commun. Donc notre ambition c’est d’abord de faire vivre les valeurs qui ont été identifiées par l’ensemble des collaborateurs du Groupe : confiance, engagement, audace, ouverture. Je ne vais pas développer chacun de ces mots qui est lourd de sens.
Il s’agit pour moi d’être bien sûr que ces valeurs sont développées pour l’ensemble des niveaux de l’entreprise. A commencer par les agents d’exécution. Je souhaite que, lorsque vous entamez un métier d’exécution, et que vous savez que vous ne le ferez pas pendant quarante ans, vous ayez dès le début des perspectives de formation professionnelle, de développement personnel, qui vous conduisent à être motivés même dans des métiers qui sont, au fond, peu valorisants au quotidien si on les projette de façon infinie.
Pour les cadres, nous avons lancé un projet qui s’appelle Attitude Manager, qui consiste à développer la capacité des cadres, de faire croître leur environnement, et d’être en meilleure interaction avec leurs collaborateurs, leurs pairs et leurs supérieurs. Nous avons une tradition d’autorité un petit peu ancienne dans cette maison qu’il s’agit de changer.
Et enfin, le comité de direction lui-même se sentira personnellement impliqué dans une nécessité d’amélioration personnelle.
EBM : Finalement, est-ce que vous pouvez nous dire ce que sera Aéroports de Paris en 2020, à la fois pour vos clients passagers, pour les compagnies aériennes et pour vos salariés ?
Augustin de Romanet : Ce que je souhaite, c’est qu'Aéroports de Paris en 2020 soit définitivement une marque reconnue pour la qualité de son service. Vous savez, une marque c’est une promesse, c’est-à-dire je vous promets telle qualité de service et je la délivre. Et bien je souhaite que cette promesse elle existe à Paris-Charles de Gaulle, Paris-Le Bourget, Paris-Orly, avec une qualité de service remarquable, et je souhaite qu’elle soit également projetée à l’étranger dans nos capacités de design, de construction et d’exploitation d’aéroports. Je souhaite qu’il y ait une French Touch ou une Paris Airport Touch.
EBM : Augustin de Romanet, vous êtes le Président Directeur Général du Groupe Aéroports de Paris, merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions.
Augustin de Romanet : Merci beaucoup.