EuroBusiness Media (EBM) : Arcelor, un des plus grands groupes d'acier au monde, vient de publier ses résultats annuels 2004. Guy Dollé, bonjour. Vous êtes le Président de la Direction Générale du Groupe Arcelor. Quels sont vos commentaires sur la performance du groupe en 2004 ?
Guy Dollé (GD): Ces résultats sont très bons, ce sont les résultats records d'Arcelor. Ils sont bien sûr dûs en partie à une situation économique mondiale très favorable, et à un marché de l'acier qui a été dopé par la Chine, mais ils sont aussi dûs d'une part aux économies de gestion, aux restructurations que le groupe a menées maintenant depuis 3 ans, depuis qu'il existe (mais que les maisons-mère avaient commencé avant).
Et aussi à cause d'un effet périmètre important résultant de notre politique de croissance externe, en particulier au Brésil et en Argentine.
EBM : Vous avez annoncé une augmentation significative de votre dividende. Quels sont vos commentaires sur ce sujet, et surtout : est-ce durable ?
GD : Je crois que c'est une question importante. Nous avons écouté et nous avons entendu nos investisseurs, qui nous disaient : « maintenant vous avez remis en ordre votre bilan, qu'en est-il pour votre dividende ? » Le dividende que nous avons fixé est d'abord cohérent avec notre anticipation de ce que vont être les résultats sur cette année 2005 et dans le futur proche, c'est-à-dire le changement de résistance d'Arcelor au niveau du cycle. Mais aussi il tient compte du fait que nous considérons que nous avons aujourd'hui beaucoup de projets de croissance externe qui seront bons pour nos actionnaires, et qu'il importe de conserver, à l'intérieur de notre bilan, les moyens pour permettre de les réaliser.
EBM : Quelles sont les perspectives pour le groupe en 2005 ?
GD : 2005 sera une année qui, pour le groupe, sera très bonne, certainement même meilleure (ne serait-ce qu'à cause de l'effet périmètre) que l'année 2004, dans un environnement économique qui s'annonce un peu plus difficile, en particulier en Europe, et dans un environnement de l'acier qui verra, au lieu d'une croissance de près de 9% de la production mondiale, une croissance de l'ordre de 3 à 4 %.
Mais en jouant sur nos avantages, et nos forces (notre présence géographique, notre politique d'innovation, notre présence dans les marchés porteurs), nous serons capables d'améliorer nos résultats.
EBM : Quelles sont les perspectives de prix en 2005 ?
GD : Il faut séparer les différents produits. Je dirais qu'il y a des produits qui s'adaptent régulièrement, en particulier à travers le système de surcharge de ferraille, à l'évolution des conditions extérieures. Il y a le marché spot pour les produits plats, il y a les marchés de contrats annuels et pluriannuels principalement pour les produits plats. Pour ces marchés annuels et pluriannuels, nous avons négocié quand il fallait, en fin d'année 2004, et nous avons obtenu des hausses de prix conséquentes, qui bien sûr procureront un effet favorable sur nos résultats. Pour le marché spot, j'ai déjà eu l'occasion de le dire depuis un certain temps, en gros nous sommes près des prix satisfaisants, et nous nous contenterons de transférer à nos clients les conséquences des variations exogènes du prix des matières premières en faisant de telle sorte que les prix, en fonction des produits et en fonction des pays, se stabilisent à peu près à un niveau identique.
EBM : Quelle sera la résistance de vos marges au-delà du premier trimestre. Autrement dit : quelle est votre capacité à contrebalancer la hausse des prix des matières premières, lorsque l'on voit que CVRD, par exemple, annonce des hausses de 90% du minerai de fer ?
GD : D'abord j'espère que nous n'irons pas jusque-là, que c'est une demande de CVRD… Nous pensons qu'elle est déraisonnable, et nous n'avons dans ce cadre-là d'ailleurs pas encore commencé les négociations sur le minerai de fer, tellement l'écart qui nous sépare de ces demandes est absurde. Nous avons en partie anticipé au cours de ce premier trimestre les hausses de matières premières sur le charbon et sur les autres matières. En fonction de l'évolution des discussions sur le minerai, nous aurons à transférer cette hausse de prix dans le deuxième trimestre. C'est ce à quoi je faisais allusion tout à l'heure, sur les adaptations légères de prix à réaliser.
EBM : Les investisseurs souhaiteraient avoir plus de détails sur votre stratégie au Brésil, en particulier les investissements prévus, les coûts comparés à l'Europe, les synergies, et la simplification de votre structure de holding locale ?
GD : Nous avons la chance (mais ce n'est pas un hasard) de bénéficier au Brésil, dans nos trois métiers, d'installations qui sont au meilleur niveau mondial. Acesita est certainement la meilleure société fabricant d'inox sur l'année 2004 ; Belgo Mineira est un des 2 leaders mondiaux ; et avec CST nous avons, en coûts, un leader mondial. Comment se situe, par exemple sur les produits plats, le coût cash d'un demi-produit sorti usine, par rapport à nos usines continentales et littorales européennes ? Aujourd'hui la brame sortant de CST est d'environ 50€ moins chère que lorsqu'elle sort de nos usines littorales, et de 70 à 80€ moins chère que de nos usines continentales. Cela veut dire que cet écart de prix est bien sûr très supérieur au coût de transport, et que dans ces conditions nous avons intérêt, étape par étape, à remplacer pour partie l'approvisionnement de laminoirs finisseurs à partir de brames provenant du Brésil. Sur notre coordination de nos actifs brésiliens, nous avions été amenés à dire que nous avions l'intention de créer une holding au Brésil, qui serait cotée à la Bourse de San Paolo. Nous avons toujours ceci présent à l'esprit, mais nous ne pourrons pas le réaliser, et donc l'annoncer, avant le mois de juin (c'est-à-dire avant que le transfert des actions qui sont encore dans la main de notre partenaire japonais JFE ne soit réalisé vers Arcelor).
EBM : Au quatrième trimestre, la Chine est devenue pour la toute première fois un exportateur mondial net d'acier. Est-ce que vous voyez ce phénomène comme plutôt conjoncturel ou structurel ? Et quels sont vos commentaires sur cette évolution majeure dans votre industrie ?
GD : Il est vrai que ce phénomène n'était pas tout à fait anticipé. Mais il faut regarder de plus près, produit par produit. La Chine est encore, pour le moment, importatrice nette d'acier inoxydable. Vraisemblablement elle ne le sera plus en 2006, et on sait que c'est une menace pour l'Europe. Pour les produits plats, la Chine est encore très nettement importatrice de produits plats, en particulier de spécialités. Nous pensons que ça va durer encore au moins jusqu'en 2008/2009. Pour les produits longs, déjà la Chine est exportatrice, et en particulier vers les pays proches asiatiques. Alors il faut bien sûr connaître un peu plus, et attendre quelques temps, pour savoir si cette augmentation des importations, qui se traduit malgré tout par un bilan importateur net, est seulement conjoncturelle, liée à une réduction de stocks, ou si elle est plus structurelle. Donc nous aurons besoin de quelques mois pour vérifier ce qu'il en est.
EBM : Quelle est votre stratégie d'acquisition, en particulier en Turquie concernant Erdemir ?
GD : Pour Erdemir, nous attendons l'appel d'offre que doit lancer le gouvernement turc. Selon nos dernières informations, cet appel d'offre pourrait être disponible vers la fin du mois de mars. Ensuite il faudra quelques mois pour y répondre et pour connaître le choix du gouvernement turc. Il y a de plus en plus de candidats, on parle de prix de plus en plus importants. Il est clair qu'Arcelor, comme il l'a toujours été dans sa politique de croissance externe, continuera à être raisonnable, et ne fera pas d'offre qui ne serait pas amenée à créer de la valeur pour ses actionnaires.
EBM : Comme vous le savez, 2004 a été l'année de la transformation d'Arcelor. Est-ce qu'on va voir encore beaucoup de transformations dans le groupe Arcelor en 2005 ?
GD : Les transformations microscopiques, c'est-à-dire locales, sont en route au niveau de l'organisation et au niveau de la poursuite des progrès en cours, au niveau d'une meilleure sensibilisation aux préoccupations du client. Peut-être on ne s'en rend pas compte de l'extérieur, mais on s'en rend compte à travers les résultats. Les macro transformations vont dépendre des réalisations de croissance externe. Nous considérons que nous avons les moyens maintenant, à travers notre cash-flow, à travers notre bilan, de faire une croissance externe à condition qu'elle soit relutive pour nos actionnaires. On a parlé de la Turquie. On a d'autres projets. Bien sûr, je ne vais pas parler de ces projets parce que je ne souhaite pas inciter à la compétition, mais il est clair que de toute façon nous garderons présent à l'esprit, où que ce soit, que ces projets sont avant tout destinés à créer de la valeur, et en particulier dans des zones où la consommation d'acier a des perspectives de croissance importantes.
EBM : Guy Dollé, merci beaucoup.
GD : Merci !