EuroBusiness Media (EBM) : Le groupe Arcelor vient de publier ses résultats pour le 1er trimestre 2006. Guy Dollé, bonjour, vous êtes le Président de la Direction générale du groupe Arcelor. Quels sont vos commentaires sur la performance du Groupe au 1er trimestre ?
Guy Dollé (GD) : Ce sont de très bons résultats dans un environnement du marché de l'acier très difficile, beaucoup plus difficile qu'il y a un an. Certes, les volumes sont là mais les prix sont en baisse sensible en particulier les prix « spot » sur les produits plats. Ces très bons résultats sont dus à des performances remarquables des produits longs, à une amélioration des aciers inoxydables. Aussi l faut savoir qu'il n'y a pas d'apport positif de Dofasco puisque nous ne reconsolidons cette acquisition du Canada qu'à partir du 1er mars et que pour des règles de normes comptables nous n'en verrons les effets bénéfiques qu'à partir de la fin du 2e trimestre de cette année. Mais plus de 1,4 milliards d'euros d'EBITDA, c'est quelque chose de sensationnel quand on regarde ce qu'ont été les performances d'Arcelor il y a deux ans.
EBM : Lorsqu'on examine ce 1er trimestre, comment doit-il être interprété par rapport à votre objectif de 7 milliards d'euros d'EBITDA. Est-ce un trimestre exceptionnel ou normal au regard des objectifs ?
GD : C'est un trimestre tout à fait normal par rapport à ces objectifs. Il a l'aspect positif de périmètre d'Acesita mais pas encore de Dofasco, ce qui nous prive de plus de 120 millions d'euros en pro forma d'EBITDA sur le 1er trimestre. Les gains de gestion, hors Dofasco, à plus de 160 millions d'euros sont parfaitement en ligne avec notre objectif à long terme. Donc c'est un trimestre qui est parfaitement dans l'alignement avec des prix parfois en retrait avec notre objectif à l'horizon 2008 de 7 milliards d'euros d'EBITDA.
EBM : Pourriez-vous nous donner plus de détail sur les hypothèses de prix et de dépenses, d'investissement sur lesquels vous avez bâti votre objectif d'EBITDA ?
GD : L'objectif de 7 milliards d'euros d'EBITDA est un objectif normalisé 2008 qui part des performances de 2005 - 5,6 milliards -, qui prend en compte les changements de périmètre déjà réalisés - Dofasco, Acesita, 1 milliard d'euros - et auquel nous ajoutons 2,2 milliards de gains de gestion dans les trois ans qui viennent, c'est-à-dire un peu plus de 700 millions par an. Ca veut dire qu'on aurait 9,5 milliards d'euros d'EBITDA dans les conditions de marché de 2005 en prix, et avec un peu plus de volume de 2004. Ces 2,5 milliards de provision, de réserves en quelques sortes avant ces 7 milliards d'euros que nous avons communiqués, représentent ce qui est disponible pour une éventuelle - même si on pense qu'elle n'aura pas forcément lieu - baisse des prix de vente ou moindre augmentation des prix de vente que le coût des facteurs c'est-à-dire correspondant à 7 à 8 % en trois ans ce qui est un peu plus que la moyenne traditionnelle de ces 25 dernières années.
EBM : Et concernant les dépenses d'investissement ?
GD : Les dépenses d'investissement sur ce trimestre sont à 500 millions d'euros. Elles sont donc parfaitement en ligne avec notre objectif qui, je le rappelle, est de 1,3 milliard pour les investissements dits de maintenance, auxquels il faut ajouter pour cette année 900 millions au moins d'investissement de croissance, en particulier avec la 3e phase de nos opérations brésiliennes.
EBM : Où en êtes-vous des cessions prévues dans les aciers inoxydables ?
GD : Nous avons signé un accord avec une grande société allemande Schmolz & Bickenbach sur Ugitec. C'est fait, nous n'attendons plus que l'autorisation de Bruxelles et ça ne devrait pas poser de problèmes. Pour les produits plats inox, nous avons annoncé une étude stratégique qui devrait être terminée à la fin de ce 1er semestre. Sur cette étude, qui prendra peut-être un peu plus de temps, nous avons prévu d'examiner tous les scénarios possibles qui concernaient jusqu'à chercher un partenaire voire même mettre en Bourse.
EBM : Pourriez-vous nous donner plus de détails sur votre plan pour économiser 2,2 milliards d'euros dans les trois prochaines années ?
GD : Il faut relativiser puisque 2,2 milliards d'euros dans les trois prochaines années représentent à peu près 700 millions par an, c'est-à-dire un peu moins dans notre périmètre que 2 % de chiffre d'affaires annuel. C'est en gros la moyenne de ce que nous avons fait depuis 25 ans. Ces 700 millions d'euros par an ont été affectés métier par métier. Nous en avons d'ailleurs déjà trouvé un petit peu plus. Je suis tout à fait confiant sur le fait que nous serons capables, nous le prouvons déjà sur le début de cette année, de dégager ces économies de gestion qui résultent pour partie d'investissements moyens mais aussi d'actions de productivité classique.
EBM : Quelles sont vos perspectives d'évolution des prix de l'acier en 2006 ?
GD : Ces perspectives sont différentes métier par métier. Dès le 1er trimestre les aciers inoxydables ont vu leurs prix augmenter de manière très sensible de l'ordre de 50 euros par mois, ce qui va continuer sur le 2e trimestre. Ceci étant, ces prix restent encore très inférieurs à ce qu'ils étaient au début de l'année dernière. Pour les produits plats, le 1er trimestre voit des prix spot en gros équivalents à ceux du 4e trimestre c'est-à-dire une centaine d'euros inférieurs à ceux du début de l'année précédente. Nous avons annoncé de petites hausses - et réalisé - sur T2, et nous avons annoncé des hausses plus importantes sur le 3e trimestre de l'ordre de 50 à 60 euros auxquelles il faudra ajouter pour les aciers galvanisés les conséquences de l'explosion des prix du zinc.
EBM : A-t-on assisté à des reconstitutions de stocks ces 6 derniers mois ?
GD : Ma réponse est plutôt non au sens stocks physiques. Au sens stocks virtuels, la réponse est plutôt oui. Quand nous regardons le carnet de commandes en Europe, par exemple, pour les produits plats il est 15 à 18 % supérieur au carnet de commandes d'il y a un an. Nous avons beaucoup plus de commandes dans la perspective de reconstituer des stocks mais cette reconstitution ne démarrera réellement, compte tenu des livraisons, qu'au 3e voire ou 4e trimestre de cette année.
EBM : Les négociations sur le minerai de fer tardent à se finaliser. De ce fait en attendant d'être finalisées, qu'avez-vous budgété comme augmentation du prix du minerai de fer et des autres matières premières ?
GD : Ces négociations tardent. Nous considérons que c'est aux Chinois, étant « les responsables » de cette explosion de la demande du minerai, qu'il revient de fixer le benchmark mais ils ont quelques difficultés à le faire. Nos prévisions budgétaires réalisées maintenant il y a 5 ou 6 mois, étaient un prix plat, c'est-à-dire pas d'augmentation ni de baisse sur les prix du minerai. Pour les autres matières, nous avions une dizaine de pour cent de baisse du prix du charbon à coke - je parle du contrat donc pas tout à fait année à année -, et de 20 à 30 % sur le charbon d'injection. La mauvaise surprise est le zinc dont tout le monde sait qu'il est passé de 1 000 dollars à 3 000 dollars à la tonne, ce qui est important puisqu'on en consomme près de 40 kilos par tonne d'acier galvanisé.
EBM : Avec l'intégration de Dofasco, vous disposez d'une source de minerai de fer à l'intérieur du Groupe. Quelle proportion de vos besoins en minerai de fer sera désormais sourcée en interne ?
GD : Ce n'est pas le sourcing interne qui est la bonne variable mais quel hedging avons-nous puisqu'une grande partie de ces minerais sera vendue à des tiers au départ de Dofasco et de QCM sans venir vers Arcelor. Si nous prenons les mines de Dofasco et la mine à laquelle nous avons accès au Brésil, cela représente à peu près 25 % de nos besoins en minerai qui seront d'une certaine manière hedgés.
EBM : Où en êtes-vous de votre projet de redistribuer 5 milliards d'euros aux actionnaires ?
GD : Je voudrais rappeler que l'assemblée générale qui s'est tenue fin avril a voté la distribution d'un dividende de 1,85 euro - ça fait 1,1 milliards d'euros de dividende ordinaire - qui sera payé à partir du 29 mai. Par ailleurs, le Conseil d'administration d'Arcelor a décidé hier de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour voter le principe d'une distribution de l'équivalent de ces 5 milliards d'euros sous forme d'une OPRA sur 150 millions d'actions. Cette assemblée générale extraordinaire aura lieu le 19 mai et en cas de non-majorité, une nouvelle assemblée générale extraordinaire aurait lieu dans le mois qui suit à peu près pour voter ces 5 milliards d'euros. Donc sur le principe, sous réserve que les actionnaires bien sûr votent en faveur de cette proposition, ce sera fait et lancé à partir de la deuxième partie du mois de juin.
EBM : Pour conclure, on a vu que monsieur Mittal n'exclut pas de relever son offre, qu'il essaie d'ouvrir la porte à une transaction à l'amiable avec la recommandation du Board et du Management d'Arcelor. Dans quelles conditions seriez-vous prêt à commencer à discuter avec monsieur Mittal de son offre ?
GD : Nous n'avons pas changé de position. Ou il transmet au Board une offre cash et dans ce cas le Board l'examinera, ou cette offre continue à être mixte et pour évaluer une offre mixte fondée à 75 % à partir d'actions de Mittal Steel, nous avons besoin d'un business plan. Nous lui avons dit et nous le répétons, sans business plan nous ne pouvons pas valider la vraie valeur de Mittal Steel à terme.
EBM : Guy Dollé, Président de la Direction générale d'Arcelor, je vous remercie.
GD : Merci.